"Mon quotidien est proche de celui d'un médecin" : à quoi ressemble le métier d'exorciste ?

"Mon quotidien est proche de celui d'un médecin" : à quoi ressemble le métier d'exorciste ?

Les yeux déments et le visage en sang, une petite fille éructe des insultes à un prêtre, se déplace à quatre pattes, crache du sang et vomit de la bile. Qui n'a pas tremblé devant la vision de Regan MacNeil, cette petite-fille possédée par le démon dans le film L'Exorciste de William Friedkin ? Un spectacle terrifiant, pourtant loin de la réalité rencontrée par les prêtres exorcistes. Certains ont accepté de raconter leur quotidien à franceinfo.

Loin de l'image du prêtre en croisade contre les démons, armé d'un crucifix, d'une Bible et d'eau bénite, "mon quotidien ressemble plutôt à celui d'un médecin", constate Georges Berson, l'un des deux prêtres exorcistes exerçant en Ile-de-France. Difficile d'imaginer les prêtres de L'Exorciste passer la journée au téléphone, à convenir de rendez-vous dans un bureau de la paroisse. Le tout, entouré d'une équipe de fidèles et de sœurs, chargée d'écouter et organiser les rencontres.

Et pourtant... "L'exorciste qui travaille seul ? Non, ça n'existe pas. C'est fait au grand jour, en équipe et c'est gratuit", explique un jeune prêtre exorciste fraîchement nommé, qui a souhaité garder l'anonymat. "L'écoute, le discernement, c'est ça l'essentiel de notre travail", renchérit le père Dominique Auzenet, installé dans la Sarthe et exorciste depuis une dizaine d'années.

Pas de formation spéciale

Chaque jour, des fidèles peuvent téléphoner à la ligne d'écoute prévue à cet effet dans les différents diocèses. Ils sont ensuite orientés par l'équipe du prêtre exorciste. Les premiers entretiens permettent de mieux cibler les demandes et d'exclure celles qui ne relèvent pas des missions de l'exorciste et de son équipe.

Missionnés par l'évêque, lui-même héritier du pouvoir divin de chasser les démons, une centaine de prêtres, répartis dans chaque diocèse, exercent aujourd'hui cette mission en France. Leur objectif : guider les fidèles, les ramener sur le chemin de la foi, mais aussi, lorsqu'ils l'estiment nécessaire, "délivrer du démon" les personnes qui seraient "possédées".

C'est l'évêque qui nomme le prêtre au poste d'exorciste, en se basant sur son expérience et son parcours avant l'ordination. En pratique, les prêtres plus âgés sont souvent favorisés, même si des exceptions existent. Selon Emmanuel Coquet, le secrétaire général adjoint de l'épiscopat, les qualités nécessaires pour devenir exorcistes sont "la sagesse et le discernement" : "Il faut qu'ils soient des hommes de prière et qu'ils aient l'expérience nécessaire pour accompagner au mieux les personnes."

Lorsqu'ils sont nommés, les exorcistes peuvent participer à des rencontres et autres congrès organisés par le Vatican ou par le Bureau national des exorcistes, en France. Mais la plupart des connaissances se fondent sur leurs propres lectures et les échanges avec des exorcistes plus expérimentés.

La mission d'exorciste est encadrée par l'Eglise, et celui-ci ne peut intervenir sans l'accord du fidèle qui les sollicite. "La personne doit être consentante, responsable et consciente", insiste le père François-Dominique David, exorciste en Haute-Corse. Les profils des personnes qui contactent les exorcistes sont très variés. Leur seul point commun : être croyant.

Des rituels pour délivrer les fidèles

Mais comment les prêtres exorcistes reconnaissent ce qu'ils estiment être une "puissance maléfique" à chasser ? Ceux interrogés décrivent un "faisceau d'indices" : une haine profonde du sacré, avec un rejet parfois physique des éléments religieux comme la Bible, les crucifix ou les prières ; la sensation d'être habité par une présence maléfique ; le refus soudain d'entrer dans une église pour les fidèles pratiquants... "Il n’y a jamais deux cas identiques", affirme Georges Berson, du haut de ses douze années d'expérience.

Mais tout cela peut pousser le prêtre exorciste à effectuer un rituel, qu'il s'agisse d'une prière dite "de délivrance", premier degré d'intervention, ou d'un "exorcisme majeur" pour les cas dits de "possession". A Paris, ces derniers représentent seulement une cinquantaine de cas sur 2 500 appels pour exorcisme. "Ce rituel est fixé par la Congrégation pour les sacrements, à Rome. Il n'y a pas de fantaisies", insiste le père Georges Berson.

Si les prêtres se "contentent" de prier, les réactions des fidèles peuvent être impressionnantes, assurent les exorcistes. En théorie, les rituels peuvent s'effectuer seul, dans une chapelle. Mais Dominique Auzenet, exorciste dans la Sarthe, dit faire appel à des "gros bras lorsque les exorcismes sont agités".

Rugissements et crachats

Cris, tremblements, éructations, crachats... Les prêtres assurent avoir assisté à ces scènes, souvent récupérées par le cinéma d'horreur. Certains racontent avoir vu des fidèles se mettre à quatre pattes et rugir comme des lions, d'autres réagir à l'eau bénite "comme vous réagiriez à du plomb en fusion". L'un d'eux raconte avoir entendu une personne parler dans une langue étrangère qu'elle disait ne pas connaître.

Malgré cela, la peur n'a pas sa place. "Avec l'expérience, on sait comment ça se passe. On devient plus serein", assure François-Dominique David, exorciste depuis six ans. Et Georges Berson de renchérir : "Je n’ai jamais peur, je suis dans une totale sérénité. Ou bien on croit en Dieu ou bien on n'y croit pas. Il est impossible qu'il m'arrive un coup de Trafalgar."

Et si tous ces symptômes décrits par les prêtres exorcistes tenaient du trouble psychiatrique ? Cette question revient souvent dans la bouche des détracteurs et inquiète aussi les principaux intéressés. D'ailleurs, le prêtre Georges Berson ne peut pas "faire un seul repas en ville sans qu’on me parle de ça. Il y a toujours quelqu’un pour me dire 'ah mais vous ne savez pas si c’est psychiatrique.' Comme si je n’y avais jamais pensé !"

"On ne joue pas à se faire peur"

Pour les prêtres, la peur de se tromper et d'orienter de la mauvaise manière l'ouaille qui vient chercher une écoute est omniprésente. "C'est le plus difficile dans cette mission. C'est même pesant parfois", témoigne François-Dominique David. "On ne traite pas quelqu'un atteint de troubles psychiatriques uniquement par la prière." Mais cela n'empêche pas les erreurs.

Pour éviter les erreurs, les exorcistes sont en lien avec des professionnels de santé, notamment des psychiatres. Les prêtres interrogés par franceinfo assurent renvoyer systématiquement les fidèles vers un avis médical lorsqu'ils l'estiment nécessaire. A l'inverse, "des psychiatres nous envoient des gens", assure le père Georges Berson.

Au sein même de l'Eglise, les avis sont mitigés quant à cette distinction entre "possession du diable" et troubles psychiatriques. Veronica Giménez-Beliveau, docteure en sociologie et spécialiste des religions, évoque un courant catholique né dans les années 1960, qui prône une vision plus "métaphorique" du diable, où le démon prend la forme d'un mal-être ou de troubles psychiatriques. Si les deux courants ne s'accordent toujours pas sur la vision théologique, "aujourd'hui en pratique, les exorcistes qui croient au démon prennent aussi en compte les problèmes sociaux, psychologiques et psychiatriques. Et ceux qui ont une approche métaphorique du diable n'ont pas abandonné le rituel". Quoiqu'il en soit, "il faut dégonfler l'imaginaire qui accompagne l'exorcisme", martèle Emmanuel Coquet. "On ne joue pas à se faire peur." Pour cela, il reste le film de William Friedkin.

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