200 clients, 35000 euros : journaliste, je suis devenue escort pour les besoins d'une enquête

200 clients, 35000 euros : journaliste, je suis devenue escort pour les besoins d'une enquête

Soisic Belin a enquêté durant 1 ans sur la prostitution en ligne en devenant elle-même escort. Elle en a fait un livre choc sur le travail du sexe en France, et qui apporte aussi un éclairage sur une clientèle variée et, hélas, parfois violente. Depuis la sortie du livre elle subit un cyber harcèlement d'une férocité ahurissante.

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TW Attention, ce témoignage contient des récits de violences sexuelles et de harcèlement qui peuvent être perturbants.

"Je me suis lancée dans cette immersion parce que tout d'abord, c'est un type de journalisme que j'affectionne particulièrement. Et puis parce que les personnes que j'avais rencontrées, qui étaient travailleuses du sexe, n'avaient pas forcément envie de tout me dévoiler sur leur métier. Et je trouvais ça aussi normal, dans un travail journalistique, d'aller au bout des choses et donc de moi-même devenir escort.

Ce travail sur l'escorting faisait partie de ce que j'appelle un triptyque sur le travail du sexe. Puisque j'ai commencé par le téléphone rose, j'ai fait de l'escorting et je me suis aussi intéressée au porno. Ma première expérience en tant qu'escort, je suis très intimidée. Je suis allée dans un café juste avant le rendez-vous, j'ai pris quelques cocktails histoire de me détendre. Je vais à ce rendez-vous un peu à reculons et je parle beaucoup. J'essaye de gagner un maximum de temps pour ne pas "passer à la casserole" et finalement, il ne se passera pas grand-chose, sexuellement parlant. Mais on aura beaucoup discuté. Il se sera beaucoup confié à moi et j'ai gagné 400 €.

Mon rendez-vous le plus étrange ou le plus décalé, c'est “Monsieur Trampoline”. Sa virilité en fait, était liée à cette force qu'il avait de maintenir une femme sur ses abdos pendant 45 minutes non-stop.

Le pire rendez-vous, c'est avec celui que j'appelle “Monsieur Citron”. Ce monsieur qui paraissait plutôt sympathique, même s'il m'avait fait comprendre qu'il voulait un rapport de domination, mais très très soft. Il a été violent dès le départ. Dès qu'on est entrés dans la chambre d'hôtel... Ce monsieur se dit policier, enfin il me dit qu'il travaille dans la police puisqu'à la fin du rendez-vous, j'ai fini aux urgences parce que ce monsieur est allé au-delà de ce qui était acté dans la prestation. C'est-à-dire qu'il avait préparé un plateau de fruits et il m'a inséré contre mon gré des citrons dans le vagin que j'ai dû aller faire retirer. Et là, se pose la question des limites dans un rapport sexuel tarifé. À quel moment on peut dire non ? À quel moment on doit rembourser une certaine partie de la somme qui avait été actée au départ ? Parce que finalement, on ne veut pas aller au bout du rendez-vous. À quel moment on peut parler de viol quand on est une travailleuse du sexe ?

Ça pose toutes ces questions en fait... Je ne suis pas encore allée porter plainte parce que j'ai véritablement fait une dissociation pour ce livre. Je compte porter plainte puisque ce n'est pas normal et il ne faut pas que ça arrive à d'autres personnes. Mais à mon avis, ce monsieur est coutumier de ce genre de pratiques puisqu'il me l'a dit lors du rendez-vous. Il l'avait déjà fait avec d'autres personnes qui, elles, réussissaient de manière très naturelle à accoucher de citrons.

Sur l'ensemble des clients, il y a quand même un pourcentage minime de personnes désagréables ou violentes. Violentes, il y en a eu vraiment très peu. Après, il n'y a pas que des violences physiques, il y a aussi parfois des violences morales. Ils ont l'impression qu'en allant voir une prostituée, une travailleuse du sexe, ça les remonte dans l'échelle sociale, ils ont l'impression d'être supérieurs à cette femme. Et parfois, le non-respect est beaucoup plus violent que le reste.

Je pense qu'il faudrait légaliser, réglementer la prostitution. Il faudrait que l'État prenne ça en charge parce que je ne pense pas que la prostitution disparaîtra comme ça du jour au lendemain. Je pense qu'il faut protéger ces personnes qui ont choisi de faire ce métier et sauver réellement celles pour qui c'est une torture et qui n'ont pas envie de faire ce métier.

Depuis la sortie du livre et une première vidéo pour Konbini, j'ai été victime de cyber-harcèlement. Ce sont des meutes de jeunes hommes en majorité, qui vous harcèlent, qui récupèrent vos données personnelles. Téléphones, mails, coordonnées de vos proches, de mes parents, de ma mère par exemple, qui a reçu des messages. J'ai dû évidemment clôturer tous mes réseaux sociaux alors que je suis journaliste et que ça fait aussi partie de mon travail, de publier mes articles. Mais c'est le but du cyber-harcèlement. C'est de faire en sorte que vous ne puissiez plus parler, de faire en sorte que vous ne vouliez plus sortir de chez vous.

Sauf qu'en fait, même chez vous, vous continuez d'être harcelée parce que ces personnes-là ne sont pas dehors. Elles sont avec vous en permanence, elles sont avec vous dans votre téléphone, elles sont avec vous quand vous vous réveillez le matin et que vous avez, je ne sais plus combien de notifications, de demandes d'amis. Et là, vous vous faites traiter de “grosse pute”. De grosse pute parce que vous avez fait une immersion dans le travail du sexe, de grosse pute parce que vous êtes une journaliste et parce que vous parlez. De grosse pute parce que vous êtes une femme et que vous parlez de sexualité. De grosse pute parce que vous avez une sexualité tout simplement. De grosse pute parce que vous dites ce que ces hommes-là n'ont pas envie d'entendre. De grosse pute parce qu'en fait, ils ne veulent pas discuter avec vous. Ils veulent juste déverser leur haine.

Je pense que ce qui a rendu folle la meute, c'est de tomber sur des vidéos porno qui font partie de mon travail sur lesquelles j'espère revenir un jour. Et donc, ils ont eu l'impression de dévoiler une vérité et ils ont voulu décrédibiliser mon travail puisque je n'avais pas encore posé de discours sur mon travail dans le milieu du porno.

Il y a un documentaire qui est sorti sur le cyber-harcèlement qui s'appelle #SalePute de Myriam Leroy et dans ce documentaire, Lauren Bastide dit que : " Le cyber-harcèlement, c'est un peu comme la culture du viol". On dit qu'une femme, elle l'a bien cherchée finalement parce qu'elle avait des propos politiques. Moi j'ai l'impression de vraiment l'avoir très, très, très bien cherché puisque je suis un peu l'équivalent de la jeune femme à la mini-jupe qui se balade dans la rue la nuit, justement pour qu'on vienne la violer.

Est-ce que j'ai quelque chose à dire à mes cyber-harceleurs ? C'est une bonne question. J'avoue que j'aimerais bien pouvoir échanger véritablement avec eux, mais j'ai peur de me retrouver face à un mur. Alors, si certains veulent véritablement discuter et qu’il y a un véritable échange qui est possible. Un échange pacifique, pourquoi pas ? Sinon, j'avoue qu'il ne me reste plus qu'à porter plainte, comme de nombreuses femmes qui se font cyber-harcelées aujourd'hui."

Le jour où je suis devenue escort 2.0, de Soisic Belin, éditions Albin Michel.

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