Michel Cassé et Joe Silk, deux scientifiques contre le concordisme Michel Cassé et Joe Silk, deux scientifiques contre le concordisme COSMOLOGIE ET THÉOLOGIE NEW-LOOK

Michel Cassé et Joe Silk, deux scientifiques contre le concordisme Michel Cassé et Joe Silk, deux scientifiques contre le concordisme COSMOLOGIE ET THÉOLOGIE NEW-LOOK

Les deux astrophysiciens, le Français Michel Cassé et le Britannique Joe Silk, dont nous publions ci-dessous une tribune qui s’élève contre le « concordisme » – le mélange des magistères théologie et cosmologie – sont bien connus de leurs pairs pour leurs travaux scientifiques approfondis et aussi du grand public. Ils ont en effet publié de très nombreux ouvrages (qu’on ne saurait tous citer ici) d’astronomie et de cosmologie, devenus des classiques. Notamment « Du vide et de la création » pour Michel Cassé en 1993, ou « Le big bang » pour Joe Silk, en 1980. Ces deux scientifiques réagissent ici, à leur manière à la fois scientifique, poétique et caustique, à la publication d’un livre récent ayant déjà suscité nombre de commentaires et critiques, « Dieu, la science, les preuves » de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassis. Résolument opposés au parti-pris de cet ouvrage, ils rappellent que « La réflexion sérieuse à la frontière entre Cosmologie et Théologie, depuis Maïmonide jusqu’à l’époque moderne marquée par la contribution historique de Georges Lemaître, s’inscrit en faux contre le concordisme. » Cassé et Silk, ni naïfs ni enfants de chœur (scientifique), savent bien, dans le même temps, que certains termes ne sont pas du registre de la science (éternité…) et que d’autres sont à manier avec grande précaution (infini, création…). Mais leur liberté d’auteurs et leur fréquentation d’amis écrivains, poètes, hommes de théâtre etc. comme Jean-Claude Carrière par exemple – Michel Cassé et Jean Audouze ont écrit avec lui « Conversations sur l’invisible » - leur donne ici l’occasion de raffiner leur expression sur ce qu’ils estiment être un égarement. Tout en rappelant, sans être dupes, ce qui est généralement considéré comme tolérable ou pas chez la gent scientifique. Leur humour se fait alors corrosif : « Vous, Jason de l’azur, dit le philosophe, vous aimez l’univers pour sa tangence avec d’autres mots imprononçables dans la bonne société scientifique, infini, transfiguration, création, éternité. Servez-vous l’illusion ou la cosmologie ? » Ils exhortent surtout mathématiciens, physiciens et autres astrophysiciens à ne pas perdre courage devant un Univers difficile à mettre rigoureusement en équations, et sans se laisser piéger… "Astrophysiciens & Astrophiles, vous aimez le ciel et le ciel vous aime aussi, ne tombez pas dans les égarements.” Le texte de Michel Cassé et Joe Silk, que La Recherche a choisi de publier après sa réception fin octobre 2021, peut néanmoins sembler difficile d’accès aux non-habitués du domaine de l’astrophysique. Il demande à être lu avec attention car certaines des métaphores sont allusives – ainsi « les tombereaux de chair future » venus des étoiles sont ces éléments de la classification de Mendeleiev, fer, or, argent qui donneront un jour des planètes ou ensemenceront les galaxies, après la mort desdites étoiles… Dans le même temps, les deux astrophysiciens s’efforcent de coller à la connaissance scientifique fondamentale de l’Univers la plus actuelle, connaissance sans arrêt remise sur le métier et jamais achevée... Nous explicitons ci-dessous quelques-unes de ces notions cruciales.Dominique LegluMATIÈRE NOIRE. C’est cette matière manquant aux galaxies, jusqu'à 90% selon certaines théories, pour expliquer leur comportement. D’autres théories, encore minoritaires et non admises par bien des spécialistes, pour éliminer élégamment cette question embarrassante poussent à changer certains paramètres fondamentaux, par exemple la constante de la gravitation. L’énergie noire, elle, pousse les galaxies à s’éloigner les unes des autres et ce, de façon de plus en plus rapide, l’univers connaissant ainsi une expansion accélérée.

COSMOLOGIE DES CORDES, DES BOUCLES. Théories où les particules, pour la première, sont vues non comme des points mais comme des cordes vibrantes. Dans la seconde, certaines dimensions de l’espace peuvent reboucler sur elles-mêmes. Il faut rappeler que ces théories sont nées des efforts parmi les plus difficiles (et non aboutis) de ces dernières années, destinés à unifier les deux grandes théories de la physique (relativité et quantique). Un de leurs résultats est que l’Univers pourrait connaître des rebonds, autrement dit, il y aurait un « avant big bang » dont on pourrait retrouver la trace. Pour en savoir plus, on pourra lire le dossier « Univers et physique quantique » du trimestriel La Recherche n°563, paru en novembre 2020.

LE MUR DE PLANCK. C’est la limite (en temps, 10-43 seconde, en espace 10-35 m) en-deçà de laquelle, dans l’univers primordial, on ne saurait expliquer les phénomènes sans faire appel à de nouveaux modèles de cosmologie (comme ceux évoqués ci-dessus).

Michel Cassé et Joe Silk, deux scientifiques contre le concordisme Michel Cassé et Joe Silk, deux scientifiques contre le concordisme COSMOLOGIE ET THÉOLOGIE NEW-LOOK

GIORDANO BRUNO. Ce prêtre dominicain, qui prôna la pluralité des mondes (comme notre systèmes solaire ou des planètes tournent autour d’étoiles comme notre soleil), fut considéré comme hérétique par l’Inquisition et condamné au bûcher en 1600.

Par Michel Cassé (astrophysicien) et Joseph Silk (professeur d’astrophysique émérite de l’Université de Californie et de l’Université d’Oxford)

A des fins de clarification du débat entre la science et la religion, et contre les abus de langage et les erreurs de catégorie, il nous a semblé nécessaire de mettre des bornes au concordisme1 contemporain. Si tout femme ou homme de science est libre de croire à sa guise, la Science se veut institution agnostique et toute allégation cosmologique qui se respecte doit par principe assumer la neutralité religieuse. Franchement, la théologie n’est d’aucun secours pour calculer les propriétés du cosmos, passées, présentes et futures et le mot Dieu est soigneusement évité dans les publications astrophysiques . Réciproquement, il convient de laisser libre l’univers de toute imposition ou interprétation religieuse canonique.

Il convient d’emblée, si l’on veut éviter de sévères confusions (1), de faire la part entre univers observable et Univers total, métaphysique.

L’univers observable offre nécessairement l’hospitalité à la vie, puisqu’il contient des êtres conscients et attentifs au ciel et au cosmos. Ce truisme, érigé en principe anthropique s’est révélé étrangement fructueux. Les théories les plus fines (cordes, par exemple) indiquent cependant que si les équations mathématiques de la physique, notamment quantique, sont nécessaires, les paramètres qu’elles recèlent et les conditions de départ auxquelles elles s’appliquent sont contingentes. La réflexion sérieuse à la frontière entre Cosmologie et Théologie, depuis Maïmonide jusqu’à l’époque moderne marquée par la contribution historique de Georges Lemaître, s’inscrit en faux contre le concordisme. L’abbé Lemaître, père de la cosmologie physique connue maintenant sous le nom de big-bang (l’onomatopée tapageuse ne vient pas de lui, car rien ne peut faire résonner un milieu préexistant puisque l’univers est premier et rien ne lui est extérieur), s’est opposé fermement au pape Pie XII qui voyait la main de Dieu dans la découverte de la création de l’univers (2).

Il est malencontreux, à cet égard, qu’un astrophysicien, prix Nobel de surcroît, aie vu dans le Rayonnement Cosmologique Fossile le doigt de Dieu, il mériterait une calotte. Lemaître, prêtre catholique le confesse “ il y a deux chemins vers la vérité, et j’ai décidé de suivre les deux” Après la faillite des arguments ontologique et cosmologique, aucun penseur conséquent n’oserait prouver philosophiquement ou scientifiquement l’existence ou la non-existence du Dieu biblique.

Les arguments principaux à opposer au concordisme contemporain qui s’appuient sur la notion de big-bang et croient voir dans le Rayonnement Cosmologique le doigt de Dieu, sont les suivants

• La cosmologie ne saurait servir de pilier ou de canne à la théologie car ce n’est pas une théorie achevée, c’est un chantier permanent qui évolue de crise en crise, la dernière ayant trait à la constante de Hubble, mesure du taux d’expansion de l’univers. Deux composantes cruciales de la cosmologie restent incomprises. La matière noire échappe à toute détection et l’énergie noire reste mystérieuse, au point que certains l’interprètent comme une constante contingente de la nature, dont il est vain de chercher l’explication en dehors du Principe Anthropique.

• La singularité étrange du big-bang avancée comme preuve de la création ex-nihilo à l’encontre de la création permanente et de l’éternité du monde peut être évitée à moindre frais en modifiant légèrement les équations du champ de la Relativité Générale. Des modèles de cosmologie cyclique avec rebond ont été proposés tant par les tenants de la Cosmologie des Cordes que de celle des Boucles.

• Les processus relevant de la gravité quantique sont supposés dominants au cours des tous premiers temps. De nombreuses théories de l’origine quantique de l’univers rivalisent dont aucune n’a emporté la conviction. La cosmologie est en chantier. Le commencement n’en finit pas de se construire. Elle est quantique, et quantique est synonyme de fluctuant. Qui voudrait de ce Dieu maladroit, sinon les gnostiques, à la rigueur, qui admettent 2 dieux dont un mauvais?

• Dans l’hypothèse d’un Plurivers, avec surabondance d’univers, les fonctions de distribution des paramètres influents sont inconnues, et les estimations statistiques n’ont aucun sens Nous assistons à une extension extraordinaire des notions de matière, de dimensions et d’univers. Cet Univers devenu compréhensible est trop lourd à porter pour les cosmologistes seuls. D’autant qu’il a fait des bêtises. Les étoiles ne savent pas ce qu’elles font elles déversent dans l’espace des tombereaux de chair future.

Vous, Jason de l’azur, dit le philosophe, vous aimez l’univers pour sa tangence avec d’autres mots imprononçables dans la bonne société scientifique, infini, transfiguration, création éternité. Servez-vous l’illusion ou la cosmologie ? Sans que vous soyez des anges, votre fidélité aux cieux et votre tendresse ultime pour l’originel vous rend réceptifs à l’invisible subtil, neutrinos, rayons gamma et ondes gravitationnelles. Vous faites parler la foudre des équations, il en sort des êtres fluets et espiègles. Donnez-les à penser plus qu’à rêver. Mais à penser tendrement. Dites neutrinos comme on dit bambino, avec le même petite note affective car réduite à ses propres forces, la science est condamnée à l’échec affectif et au désamour.

Astrophysiciens & Astrophiles, vous aimez le ciel et le ciel vous aime aussi, ne tombez pas dans les égarements. Et ne soyez plus saisis d’effroi devant le silence éternel des espaces infinis. Le vacarme sporadique des petites lucarnes est là pour vous ravir. Souriez ! Vous ne risquez ni la mort ni le bûcher à vouloir percer le mystère originel ou à proclamer la pluralité des mondes.

Réclamez la réhabilitation par l’église de Giordano Bruno car le nouvelle cosmologie le met au pinacle mais ne tournez pas le dos aux théologiens, ils ont beaucoup à nous apprendre sur l’indicible. Ce ou ceux dont on ne peut parler, ou qu’on ne peut percer, il faut les dire. Chantons les perceurs neutrinos et dansons sur les ondes de la gravitation !

Gageons que le mur de Planck, épais de 10-33 cm, zone aveugle, obstacle épistémologique majeur qui nous empêche d’accéder au mythique temps zéro sera franchi le jour où la Gravité sera mariée et bien mariée à la Quantique.

Déjà les cordeliers et les bouclés, adeptes de la théorie des supercordes et de la Gravité Quantique à Boucles, se félicitent d’avoir fait passer le chameau de la cosmologie à travers le chas de l’aiguille du zéro. Ce sont de bonnes nouvelles.

Physiciens astraux, passez votre ciel à déchiffrer les énigmes de la matière noire, de l’énergie noire, de la basse entropie initiale de l’univers, des singularités (aberrations) initiale et finale du big-bang et du trou noir, de l’absence manifeste d’antimatière, de la masse des neutrinos et enfin du passage de la matière inerte à la matière vivante et à la conscience. Vous êtes nés pour l’infini.

Courage devant le temps zéro qui est un instant dans un temps qui n’existe pas encore !

Courage devant la légion des univers qui se comptent par dix puissance cinq cents et d’avantage (4) !

Qu’est-il advenu de l’homme pour qu’il fasse précéder le big-bang conventionnel de la fabuleuse Inflation de l’espace et de la transmutation de son énergie en lumière, matière et antimatière et qu’elle est la part d’éternité dans ce phénomène extraordinaire ? Dans la nouvelle genèse, l’élément créateur c’est le Vide Quantique et la querelle théologique de notre temps n’est plus le nombre d’anges qui dansent sur une tête d’épingle mais le nombre de big-bang qui émaillent l’histoire du Plurivers, à supposer qu’il existe, ainsi que le nombre d’observateurs potentiels conscients (5) et le type d’intelligence auxquels ils ont donné naissance. Les métaphores poétiques de ciel et de destin ont été remplacées par les quantités mesurables d’espace et de temps. Le Ciel, le grand Ciel des anges, a cédé le pas à un univers de papier et d’équations. Depuis nous nous demandons ce que nous sommes et cherchons le paradis dans l’au-delà, l’artifice ou sur une planète autour d’une autre étoile.

Happé par le monisme, le champ complexe et éclaté du savoir cherche à se réunifier en logos, en cosmologos. Comment penser une presque impensable unité ? Espace, Ciel et Univers sont les paroles qui convoquent les technologies galopantes, les âmes cheminantes et les sciences englobantes. Pour maintenir en fleur le cœur de la foi et de la recherche la Terre a choisi Ciel. La première équation de l’astrophysique est Terre = Ciel. Par le jeu de quelques assertions mécanistes (6) et d’une visée conceptuellement unitaire, l’univers est réduit à naitre, à n’être qu’une histoire. La cosmographie fait place à l’Histoire et la cosmologie à la cosmogonie qui confine au mythe et à la légende. L’univers présenté comme un processus nous ôte à tout jamais la certitude de son immortalité et le concept dynamique de succession se substitue à celui de simultanéité divine. L’univers est en évolution dans toutes ses îles, mais l’évolution la plus grandiose est celle de son tour de taille (7). L’univers est dans le temps (8). Ne vaudrait-il pas mieux, dès lors, substituer au mot cosmologie celui de cosmodrame ? Ce qui reviendrait à mettre l’accent sur la dimension temporelles, la où le terme « univers » pourrait apparaitre insister sur la dimension spatiale, volumique de la perception (9) ? Dans la nouvelle genèse la lumière n’est pas première. L’élément créateur c’est le vide quantique. De ce presqu’être paradoxal, ce néant fleuri, véritable lampe d’Aladin dont sortent les couples particule-antiparticule et les univers les physiciens s'extasient. Les théologiens toujours pimpants, peaufinent déjà une dogmatique du Plurivers dans laquelle la transcendance de l’INFINI remplace la transcendance du UN. Ce ne sont pas des enfants de Chœur. Il est impossible de démontrer qu’ils n’ont pas raison. Les cosmologues relativistes sont dans le désert des équations. Les hommes de Dieu sont dans le désert de la foi. Quel est le sens de ces déserts?

(1) « Dieu, la science, les preuves » de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassis, largement promu sous le titre « Quand la science croit en Dieu » dans un dossier du Figaro Magazine (8 et 9 Octobre 2021)

(2) Essais de cosmologie. Précédé de : Invention du Big Bang, Alexandre Friedmann et Georges Lemaître, Jean-Pierre Luminet Seuil Dominique Lambert , un atome d’univers, la vie de l’abbé Lemaître.

(3) Selon le second principe de la thermodynamique, l’entropie de l’univers ne peut décroitre, elle était donc particulièrement basse « au commencement ». Ainsi l’univers est anti-mythique puisqu’il passe du Cosmos au Chaos, de l’ordre au désordre. La mise en ordre du chaos originel est donc une légende.

(4) L’exploration du « landscape » (paysage) des cordeliers, équivalent du paradis et la définition de sa frontière avec le « swampland » (marécage) , l’enfer des théories déchues, est à l’ordre du jour.

(5) Encore faudrait-il correctement définir la conscience. Les « cerveaux de Boltzmann, » véritables zombies nés des aléas thermodynamiques et quantiques, jouent à cet égard un rôle ambigu. Lire Sean Carroll.

(6) L’espace se dilate entre les amas de galaxie, en inversant le mouvement ils convergent pour se confondre au temps zéro.

(7) 289 milliards d’années-lumière, telle est la circonférence de l’horizon cosmologique

(8) Tout comme les étoiles. Les étoiles sont mortelles/Socrate est mortel/Socrate est une étoile (9) Assurément non, car le volume c’est du temps : l’espace se dilate depuis le big-bang. L’échelle de distance est temporalisée.

Mots clés: