Giono, Guitry, Colette, Sartre… Qu’on fait ces écrivains pendant l’Occupation ?

Giono, Guitry, Colette, Sartre… Qu’on fait ces écrivains pendant l’Occupation ?

Ils furent écrivains pendant l’Occupation, s’exprimèrent haut et fort ou restèrent dans l’ombre… Comment ces écrivains se sont-ils positionnés pendant ces années sombres de l’histoire ? Giono, Colette, Guitry, Sartre, Bernanos… voici quelques parcours littéraires, entre dissidences et compromissions.

Giono s’accroche à une terre ternie

Septembre 1939, c’est la mobilisation générale. À Manosque, où il vit, Jean Giono, qui a eu 20 ans à Verdun, est arrêté et interné pour « activités pacifistes », qu’il a argumentées dans Refus d’obéissance en 1937. Relâché quelques semaines plus tard, il reprend son modeste train de vie. Les « années noires » seront parmi ses plus fécondes : il travaille à plusieurs pièces de théâtre, à des scénarios de films, des projets de traductions, plusieurs romans. Pourtant, Giono est considéré comme un écrivain collaborationniste.

Pourquoi ? En 1929, son roman Colline chantait la nature, les paysans, le retour à la terre, et l’on voyait en lui un sympathique auteur « régionaliste ». Mais, en juin 1940, cette thématique est exaltée par Vichy, et la presse collaborationniste ouvre ses colonnes au Manosquin. Le manuscrit des Deux Cavaliers de l’orage est promis à La Gerbe. Le Triomphe de la vie est publié en feuilleton dans Le Figaro. Des articles élogieux fleurissent dans Comœdia, et deux reportages sur Giono paraîtront dans Signal (dont un en mai 1944).

À partir de 1943, des soldats allemands de passage à Manosque font le détour pour obtenir un mot gentil, une dédicace… Mais c’est aussi à partir de cette année-là que la maison de Giono sert de refuge provisoire à de nombreux jeunes qui fuient le STO et qui rejoignent les maquis toujours plus nombreux dans la région. Seule condition : ne pas venir armé…

Le 15 août 1944, les Alliés débarquent en Provence, Manosque est libérée peu après. Le spectacle qu’offrent les résistants de la 25e heure révulse l’écrivain. Si Giono a de la sympathie pour les idéalistes qui partent combattre l’arme à la main, il est plus réservé sur leurs chefs, bien à l’abri à l’arrière, qui attendent de pouvoir occuper des postes. Pour Les Lettres françaises, tout juste sorties de la clandestinité, Giono fait partie des « romanciers de la lâcheté ». Après cinq mois en prison, il est libéré le 23 janvier 1945 et se remet à l’écriture, l’histoire d’un hussard sur le toit…

Sacha Guitry, l’art du tricheur

Les années 1930 comptent parmi les plus fastes de la vie de Sacha Guitry. Ses pièces de théâtre triomphent, il réalise dix films, dont Le Roman d’un tricheur, entre à l’Académie Goncourt, refuse l’Académie française. L’armistice le surprend en cure à Dax. Il remonte aussitôt à Paris où il entend maintenir l’esprit français par le biais de son activité d’auteur et d’interprète. De 1940 à 1944, les autorités allemandes ne refuseront rien à « monsieur Sacha »…

Giono, Guitry, Colette, Sartre… Qu’on fait ces écrivains pendant l’Occupation ?

Très vite, il obtient l’autorisation de rouvrir le Théâtre de la Madeleine, où il fait jouer Pasteur et Vive l’Empereur, pièces présentées comme une ode au génie français. En 1942, il refuse les fonds de la Continental (la maison de production française officielle sous l’Occupation, financée par le IIIe Reich) pour tourner plus librement Le Destin fabuleux de Désirée Clary, histoire d’une maîtresse de Napoléon qui lui permet de glisser quelques piques anti-allemandes. Pendant la guerre, Sacha Guitry joue également de sa notoriété pour réclamer la libération de Tristan Bernard et, en vain, celle de Max Jacob.

Génie pour les uns, traître pour les autres, Sacha Guitry défraie la chronique par sa vie mondaine pendant la durée de l’Occupation. En 1940, il assiste au retour des cendres de l’Aiglon. En 1942, il est à l’inauguration de l’exposition Arno Breker et bénéficie d’une entrevue avec Göring, qui ne lui cache pas son admiration. Reçu plusieurs fois à Vichy par le maréchal, Sacha Guitry lui soumet la maquette de son projet de livre De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain, dont la version définitive sera présentée le 23 juin 1944 lors d’un gala de charité à l’Opéra de Paris…

Le 23 août 1944, il est arrêté en robe de chambre et en chaussons. Appréhendé sans mandat ni mission officielle par un groupe de résistants, l’artiste est libéré après soixante jours de détention. De son passage dans les geôles de la Résistance, Guitry écrira un plaidoyer pro domo, et s’en tirera, comme toujours, par un bon jeu de mots : « La Libération, je peux dire que j’ai été le premier prévenu. »

Colette, « patriote d’elle-même »

En 1940, Colette a 67 ans. Elle vit depuis 1938 dans son dernier appartement, au Palais-Royal, où elle dispose d’une vue sur les jardins : fenêtre décisive, quand l’arthrite déjà déclarée l’immobilisera peu à peu. Après l’exode, elle choisit de rentrer, bien que son époux Maurice Goudeket soit juif : « J’ai l’habitude de passer mes guerres à Paris. » Cinq ans durant, elle publie : Julie de Carneilhan, Chambre d’hôtel, Gigi… Elle ne se prive pas d’écrits rémunérateurs, de quoi payer le marché noir, les restaurants, les traitements médicaux.

Quand, le 12 décembre 1941, Goudeket est arrêté et interné à Compiègne, elle se dépense en contacts pour obtenir sa libération, intervenue le 6 février 1942. Elle accepte alors de composer une dictée pour le Secours national, participe au monument maréchaliste De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain, livre dirigé par Sacha Guitry – dans un article ne disant que son admiration pour Balzac.

Elle donne à La Gerbe, en novembre 1942, une célébration poétique de sa région natale que l’hebdomadaire fasciste encadre d’articles vantant la proximité historique et raciale des Bourguignons et des Aryens : « Il est douloureux de voir le nom jusque-là respecté de Colette servir à une telle besogne », noteront Les Lettres françaises clandestines.

Cette « patriote d’elle-même », comme l’appela Elsa Triolet, fut ainsi occupée à sauver, sans trop se perdre, sa vie et son époux. À la Libération, les collaborateurs prétendront condamner son ingratitude : il fallut l’insistance de Cocteau pour qu’elle accepte de signer la pétition en faveur de Brasillach ; Guitry la poursuivra de son acrimonie.

« Je suis humblement parmi ceux qui ne firent qu’attendre », écrira Colette dans L’Étoile Vesper. Nul héroïsme, donc ; des compromis, quelques compromissions, l’amitié décisive sans doute de l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz et de son épouse Suzanne. Mais rien aujourd’hui n’introduit plus aux ambiguïtés d’une période grise que ses textes d’alors, et singulièrement De ma fenêtre, au ras de l’intime et du quotidien.

François Mauriac, l’académicien dissident

Dans le désarroi de l’armistice, deux chroniques, où il évoque au passage « la horde des envahisseurs...

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