Le français Michel Combes devient n°2 du géant Softbank

Le français Michel Combes devient n°2 du géant Softbank

La situation ne semble pas perturber Michel Combes qui depuis des mois est déjà aux manettes pour diagnostiquer et évaluer toutes les entreprises en portefeuille; "jouer le super operating partner" en apportant son expérience aux actifs en difficulté; investir dans de nouveaux territoires, notamment en Amérique du Sud, "continent prometteur" où le fonds a déjà engagé 4 milliards de dollars. "Compte tenu du fantastique succès" là-bas, Masa vient d'y allouer 3 milliards de plus. Et Michel Combes vise aussi la France: "J'ai dit à Masa que j'étais surpris que nous n'y ayons jamais investi."

Masa lui a dit: "Vas-y!" Et voilà comment, à l'automne 2021, Michel Combes s'est mué en parrain de la tech française. "En ambassadeur du Vision Fund pour la France", corrige l'intéressé. Ou en rock star pour entrepreneurs groupies: "Un type bien, accessible, très opérationnel, qui possède une vision stratégique", selon Jonathan Cherki, fondateur de Contentsquare. "Un grand décideur très inspirant", pour Loïc Soubeyrand, fondateur de Swile. L'homme d'affaires savoure: "Ils apprécient mes cheveux blancs et mon expérience de CEO au long cours."

Une réputation de flibustier

Même si la plupart de ces jeunes ignorent quasiment tout de l'itinéraire agité de leur nouveau mentor. Un parcours fait de bonds et de rebonds, qui intrigue autant qu'il fascine. "Il fait des sauts de puce et prend des chèques au passage, commente un dirigeant d'Altice. Il a la capacité de retomber toujours sur ses pattes et de continuer comme si de rien n'était."

De France Telecom à Alcatel-Lucent, de Vodafone à Altice, Michel Combes s'est construit une réputation de manager flibustier: énorme bosseur, très discipliné, disponible pour ses équipes, doté d'une grande force de persuasion - de séduction, disent certains. Et d'une forte propension à agacer ses supérieurs. Son passage à France Telecom au début des années 2000 résume le style: tous les week-ends, il venait au bureau pour approfondir des dossiers, mais aussi, le dimanche, pour y recevoir des collaborateurs et discuter à bâtons rompus. Ce défilé dominical des barons de France Telecom a fini par attirer l'attention et irriter l'entourage du PDG, Didier Lombard.

"Il s'imaginait à la place de Lombard et il a été très imprudent, raconte une ancienne cadre du groupe. Le PDG le voyait comme un chien fou qui ne connaît pas ses limites, il était persuadé qu'il allait faire un coup d'Etat." Le vibrionnant manager n'a rien vu venir, malgré les mises en garde de certains. Profitant d'un avertissement sur résultats, en janvier 2006, Didier Lombard se débarrasse de son encombrant directeur financier.

Michel Combes subira le même traitement en juin 2012 chez Vivendi. En un week-end, le groupe change radicalement de stratégie, sur fond de montée en puissance de Vincent Bolloré au capital. Son patron Jean-Bernard Lévy voulait miser sur les télécoms autour de SFR, en plaçant à sa tête Michel Combes, qui venait de démissionner du britannique Vodafone. Jean-René Fourtou, le président du conseil de surveillance de Vivendi, voyait les choses autrement. Lévy claque la porte et Combes tente sa chance: "Qui va être le numéro un de Vivendi? J'aimerais être candidat", lance-t-il à Fourtou, stupéfait.

"Faites d'abord vos preuves chez SFR", rétorque ce dernier. Michel Combes explique que c'est à prendre ou à laisser. "Merci, nous nous sommes tout dit", le congédie le président du conseil.

Le français Michel Combes devient n°2 du géant Softbank

A Altice, l'histoire est différente: "Quand vous collaborez avec Patrick Drahi, tout ce que vous réalisez, vous le faites à l'aune des dix prochaines années. Combes exécute à vingt-quatre mois", explique un cadre du groupe. Avant de porter ce jugement sévère: "Il organise bien, mais il ne va pas au bout des transformations qu'il engage."

L'appel de la multinationale

Il y a vingt ans, Michel Combes aurait pu être entrepreneur, porter une grosse PME au firmament de la réussite, comme lorsqu'il dirigeait l'ingénieriste Assystem - dont il est toujours actionnaire et administrateur - après avoir fait ses classes auprès de Jacques Maillot, à Nouvelles Frontières. "Il aurait pu rester chez Assystem et le développer, mais il a voulu acquérir une expérience dans une grande structure", observe ce dernier.

De la même manière, il surprend son entourage lorsqu'il quitte la direction de TDF, en 2008, où il avait été embauché deux ans plus tôt par des fonds d'investissement qui avaient racheté l'entreprise en leveraged buy-out (LBO). Des rumeurs de discorde entre le patron et ses actionnaires avaient circulé. L'intéressé avait démenti tout en reconnaissant que sa décision de sortir au milieu de l'opération était "inhabituelle dans la conduite d'un LBO". Mais comment refuser de passer d'une PME de 1,2 milliard de chiffre d'affaires à une multinationale de 40 milliards? "Il n'est jamais vraiment assis sur sa chaise, toujours en mouvement, raconte un ancien collègue de France Telecom. Il calcule le coup d'après, on a l'impression qu'il organise sa vie professionnelle en fonction de ses sorties."

Parmi les anciens d'Alcatel-Lucent, le passage de Michel Combes laisse des souvenirs très mitigés. "Il voyage tout le temps, ne prend jamais de vacances, organise des réunions le dimanche… La seule solution pour lui de se recharger, c'est de changer de job", ironise un ancien collaborateur. Pour la plupart des salariés, il était la dernière chance pour l'entreprise en état de mort cérébrale. Arrivé en février 2013, il remet rapidement les équipes sous tension: "Ça roupille ici, je vais vous réveiller!" De fait, il parvient à redresser la barre et s'entoure de spécialistes des restructurations lourdes. Philippe Guillemot, ancien d'Europcar et d'Areva, devient son numéro deux et son ami québécois Jean Raby, ancien banquier d'affaires chez Goldman Sachs, prend en charge les finances.

En moins de deux ans, l'entreprise qui brûlait 1 milliard de cash par an redevient positive. Jean Raby se souvient avec émotion de cette période, la plus intense de sa vie professionnelle: "Michel a une énergie remarquable, il reste positif dans l'action, il fait des blagues et donne des ordres en même temps, il est sur mille fuseaux horaires à la fois… Il dort peu et il est à fond dès qu'il se lève."

Sous la pression des politiques

Mais l'équipe commando ne fera pas de miracle à Alcatel-Lucent. "A chaque fois qu'on soulevait un couvercle, il y avait un nouveau problème", se souvient le Québécois. A l'été 2014, Michel Combes a dû se faire une raison. Après un plan de restructuration massif, qui a notamment conduit à la suppression de plus de 10.000 postes dans les rangs de l'équipementier télécoms français - ce qui lui a même valu des menaces de mort -, l'alliance avec le finlandais Nokia paraît inéluctable. Et l'homme d'affaires prépare le terrain. "Il avait établi un plan de contact avec les autorités françaises, raconte un ancien collaborateur, une sorte de tableau Excel qu'il suivait méthodiquement pour convaincre tout le monde, depuis la DGSE jusqu'au ministre de l'Economie Arnaud Montebourg et son successeur Emmanuel Macron."

Michel Combes est encensé et fait figure de sauveur, jusqu'à l'ultime faux pas: l'encre n'a pas le temps de sécher sur le contrat liant le sort du groupe français à celui de Nokia que son grand promoteur annonce qu'il quitte le projet pour rejoindre son ami Patrick Drahi, à la tête d'Al-tice. Ce départ précipité choque jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat, à commencer par le ministre de l'Economie d'alors, Emmanuel Macron, qui ne mâche pas ses mots à la sortie d'un conseil des ministres en septembre 2015: "Il n'est pas compréhensible ni acceptable que monsieur Combes prenne la décision aujourd'hui de quitter l'entreprise […]. Il n'est pas normal qu'un grand dirigeant quitte le navire le premier." Encore plus quand il disparaît en empochant un chèque de plus de 13 millions d'euros pour solde de tout compte, dont il abandonnera la moitié sous la pression des politiques et de l'opinion publique. "Pour acheter la paix", ponctue Jean Raby.

Attiré par l'argent, Michel Combes? "Il ne paraît pas déraisonnable de penser que cela fait partie de ses motivations", ironise son ami. Mais il y a autre chose de tout aussi important: l'image. Tous ceux qui l'ont côtoyé évoquent ce besoin irrépressible de faire parler de lui. "Il aime l'impact, il veut laisser une trace, il a besoin qu'on parle lui", résume un proche. A Alcatel-Lucent, ses communicants devaient trouver toutes les occasions pour qu'il figure chaque jour dans les journaux.

Des vues sur Orange?

Michel Combes ne parle plus de cette vie d'avant. A ceux qui lui prêtent des intentions sur Orange, à quelques mois de la fin du mandat de Stéphane Richard, il dément fermement: "Je ne suis absolument pas intéressé et je n'ai pas été contacté. Je suis rentré dans un autre monde."

Et dans sa nouvelle peau, il a investi les milliards du japonais SoftBank dans des start-up de la tech, aux côtés de son ex-complice Marcelo Claure, ancien patron de Sprint. Il sauve de la faillite WeWork, une des pépites du fonds - introduite en Bourse avec succès en octobre dernier. Il lance un Spac à 300 millions avec les frères Zaoui et Jean Raby dans l'univers de la santé ou des technologies de l'information. Il prodigue même ses conseils à Phi-lip Morris, où il vient d'être nommé administrateur, et dont "les produits s'apparentent de plus en plus à un appareil électronique similaire à un téléphone mobile". Il peut bondir et rebondir, Michel Combes ne retombe jamais loin de ses bases.

Ce qu'ils disent de luiDidier Quillot, ancien dirigeant de France Telecom: "Michel Combes a énormément d'énergie et il possède un vrai culot. Il est à l'aise dans tous les milieux et dans toutes les circonstances."Jacques Maillot, fondateur de Nouvelles Frontières: "C'est un homme très rigoureux, très précis et c'est aussi un gros bosseur. Quand il se met à étudier un dossier, il s'y met à fond."Marcelo Claure, directeur général de SoftBank Group, ancien président de Sprint: "C'est un associé génial, il a beaucoup d'expérience, il sait comment faire croître une entreprise."Jonathan Cherki, fondateur de Contentsquare: "Nous pouvons tous lui être reconnaissant. Il initie un vrai mouvement et cela va accélérer les investissements en France."Didier Lombard, ancien PDG de France Telecom: "Michel travaille matin, midi et soir, samedi et dimanche. Il connaît tout sur tous les sujets et sur tout le monde, il est toujours prêt à apporter ses conseils à tous."Loïc Soubeyrand, fondateur de Swile: "Il est très abordable et c'est un vrai globe-trotteur. Je lui parle régulièrement au téléphone et à chaque fois, il se trouve dans un pays différent."

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