UFC: Ngannou-Lopez, les dessous d’une séparation
Si le combat pour la couronne des lourds réunira Ciryl Gane et Francis Ngannou dans la cage de l’UFC ce week-end en Californie (en direct et en exclusivité dans la nuit de samedi à dimanche sur RMC Sport), ce choc XXL met la lumière sur un troisième larron, Fernand Lopez, actuel coach du Français et ancien entraîneur du Camerounais. Avec qui la séparation a laissé des traces et de la rancœur. RMC Sport vous raconte en détails l’histoire de cette rupture.Il ne sera pas dans la cage. Mais il est au centre du choc. Pour Fernand Lopez, le combat pour le couronne des lourds de l’UFC entre Francis Ngannou et Ciryl Gane a un goût très particulier. Coach de Gane, le patron du MMA Factory peut mener son poulain déjà champion intérimaire à une performance historique: devenir le premier combattant français sacré dans la plus grande organisation de MMA. Mais pour atteindre ce Graal, le duo devra gravir la montagne Ngannou, champion en titre venu au MMA sous les ordres… de Lopez à Paris. Un parcours commun terminé dans le fracas d’une séparation qui a laissé des traces. Et de la rancœur.
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L’histoire entre Ngannou et Lopez commence à l’arrivée du futur champion UFC à Paris, en 2013. Migrant camerounais obligé de vivre dans un parking de la capitale française, Ngannou rêve de boxe anglaise mais va croiser Lopez, qui le prend sous son aile sportivement comme financièrement dans sa salle du MMA Factory (il était sous le système de la ‘fiche zéro’, sans rien à payer pour s’entraîner) et l’oriente vers le MMA. La relation va vite porter ses fruits. Après six combats professionnels, dont cinq victoires, le Camerounais rejoint en décembre 2015 la grande UFC (son coach lui avait annoncé trois mois plus tôt, le jour de son anniversaire). Où il continue de martyriser la concurrence à coups de KO fracassants.
Mais avec l’argent qui rentre, les problèmes arrivent. En 2016, il refuse de payer la cotisation annuelle du MMA Factory. "Il m’a dit: 'C’est moi qui apporte la lumière dans le gymnase, je ne paierai rien', a raconté Lopez au micro de l’émission The MMA Hour sur le site MMA Fighting. J’ai répondu: 'C’est de la folie, je ne t’ai jamais demandé quoi que ce soit depuis ton arrivée'." Coach mais aussi manager de Ngannou, Lopez doit également gérer des négociations sur sa rémunération. "Tu me payes 10% de tes revenus sur les combat mais tu me demandes de payer les sparring-partners avec l’argent que tu me donnes…" Les prémices de la séparation germent. Ils vont s’accélérer avec l’envie de Ngannou de partir vivre aux Etats-Unis, son rêve avant même de quitter le Cameroun pour l’Europe.
Lopez ne veut pas traverser l’Atlantique avec lui, car sa vie est en France, mais va l’aider à partir là-bas, passant plusieurs coups de fil pour lui trouver un point de chute sportif. Courant 2017, l’année où Gane rencontre Lopez, le Camerounais s’installe à Las Vegas. Mais il continue de collaborer avec son coach parisien, qu’il appelle alors tous les deux jours pour affiner sa préparation. Ce camp d’entraînement hybride, un pied de chaque côté de l’Atlantique, va lui jouer des tours. "Mon regret est que j’ai quitté la France sans vraiment la quitter", confirme l’intéressé dans la vidéo UFC Countdown publiée avant son choc contre Gane à l’UFC 270.
Opposé à Stipe Miocic en janvier 2018 pour sa première chance pour le titre des lourds, Ngannou n’est pas à la hauteur et s’incline sur une décision unanime. En conférence de presse, il salue "le plan de jeu" concocté par l’Américain et son équipe. Lopez voit rouge. Car son poulain, qui n’avait par exemple voulu faire certains exercices de jeu de jambes en approche du combat malgré les demandes de son coach, n’a pas respecté le sien. "Je me suis dit: Merde, tu rigoles ou quoi? Je t’ai donné un plan et je t’ai même soutenu quand tu ne l’as pas suivi. On t’a supplié de le suivre mais tu as dit: 'Non, je n’ai pas besoin d’aller à l’école pour battre quelqu’un, je le mettrai KO juste sur mes réflexes'. Tu aurais pu dire: 'C’est ma faute, désolé les gars, ne blâmez pas seulement mon coach car je suis le chef de mon camp'. Tellement de combattants font ça. Pourquoi tu ne dis rien de la sorte?"
Un peu moins de six mois plus tard, Ngannou subit une nouvelle défaite face à Derrick Lewis après un combat indigeste – un des pires de l’histoire des lourds à l’UFC – où il n’a rien montré. Dana White, patron exécutif de l’organisation, n’hésite pas à tacler le Camerounais et son "ego hors de contrôle". Son coach approuve et va lui dire ses quatre vérités, lui expliquer qu’il a "bel et bien pris la grosse tête". "Il a mal vécu le fait que je puisse avoir l’authenticité de lui dire, se souvient Lopez au micro de RMC Sport. Mais c’est mon rôle de coach et de manager. Il faut des personnes de confiance qui peuvent nous dire: 'Tu es beau, tu es fort, mais là tu es en train de déconner, tu vas vers le mur, rectifie le tir'." Le combattant semble écouter les conseils. "Après ces deux défaites, il est revenu en France pour me demander mon aide, explique Lopez. Et je lui ai dit que s’il voulait que ça arrive, il devait m’écouter, suivre le plan, l’entraînement physique. Il m’a dit qu’il était prêt à faire tout ça."
Fin 2018, en Chine, Ngannou retrouve le chemin de la victoire en mettant Curtis Blaydes TKO au premier round. "Tu es de retour", lui crie Lopez depuis l’extérieur de la cage. Les problèmes aussi. "Le mauvais Francis est revenu, raconte son ancien coach. Il est retourné aux Etats-Unis et s’est remis à faire ce qu’il voulait. Ça a marché pour lui mais je lui ai dit: 'Je ne veux plus travailler avec toi'." Entretemps, d’autres épisodes ont nourri les rancœurs. Lors de la cérémonie des World MMA Awards pour l’année 2017, auréolé du KO de l'année, celui terrifiant contre Alistair Overeem, "The Predator" ne remercie ni le MMA Factory ni son compatriote Lopez. Une absence de reconnaissance dont il a pris l’habitude, après ses combats comme en interview, et qui énerve à raison son entraîneur.
"Je ne devrais même pas avoir à lui demander ça, pointe Lopez. (…) Une personne qui dit: 'Je n’ai pas à remercier ma salle car elle profite de moi et de mon image', c’est contraire à ce que je vois dans le monde entier. C’est là où la fracture arrive. J’ai un de mes élèves qui dit: 'Je suis un self-made. Personne n’a jamais cru en moi. Je me suis débrouillé tout seul pour devenir champion alors que tout le monde me disait que je ne pourrais pas y arriver’' C’est une belle narration pour lui, pour Hollywood, mais ça ne passe pas. Ce n’est pas correct." Grand écart avec un Gane qui après son premier combat chez les pros, à l’été 2018, fait un cœur avec les doigts à la caméra en lâchant tout fort: "MMA Factory!"
A cette époque, alors que Ciryl Gane vient d’entamer sa carrière dans l’organisation TKO et se retrouve vite dans les radars de l’UFC, Ngannou aurait même selon Lopez expliqué à Mick Maynard, l’un des dirigeants et matchmakers (organisateurs des combats) de l’organisation, que "Bon Gamin" n’était "pas encore assez bon pour l’UFC". Habitué à voir ses poulains vendre les mérites de leurs partenaires au moindre micro tendu, Lopez n’apprécie pas du tout: "D’autres élèves avaient lâché son nom quand il le fallait. Mais qui Francis a-t-il entraîné derrière lui? Personne!" Et Ngannou de lui répondre ces dernières semaines sur sa chaîne YouTube: "Quand il a raconté ça, je me suis dit : Mec... c’est sale. On ne joue plus, ce n’est plus pour du faux. Associer d’autres gens au truc, c’est vraiment le mal."
Le patron du MMA Factory relate aussi un épisode où Ngannou refuse de payer le parking pour la compagne de Lopez, venue le chercher à l’aéroport. Avec tout ça, la coupe est pleine. Lopez accompagne Ngannou une dernière fois au bord de la cage pour le combat face à l’ancien champion Cain Velasquez, encore remporté sur KO au premier round, en février 2019. Mais la séparation, plusieurs fois dans l’air du temps auparavant, est actée pour de bon. "Il était indispensable pour moi de m’installer ici, pour améliorer mon jeu et tout ce qu’il y a autour, par exemple mon anglais pour les éventuelles opportunités dans l’avenir", résume aujourd’hui le Camerounais. "Ce sont des personnes qui évoluent ensemble, qui se rendent compte qu’elles n’ont pas les mêmes valeurs, pas les mêmes approches, des motivations différentes, et qui du coup vont avoir envie de se séparer, analyse Lopez. Francis éprouvait l’envie de ne plus continuer avec moi et j’éprouvais l’envie de ne plus continuer avec lui, raison pour laquelle je lui avais demandé deux-trois fois de quitter la salle. On est tombé en désaccord sur des détails, mais peu. Ce sont avant tout des histoires humaines."
Sous l’égide de coaches Eric Nicksick et Dewey Cooper à Xtreme Couture, une salle de Las Vegas, Ngannou continue de fracasser tout le monde jusqu’à prendre sa revanche sur Miocic pour être sacré champion des lourds en mars 2021. Un épisode vécu "seul chez (lui)" par Lopez, qui avait "faussé compagnie à des amis" car il avait "besoin d’intimité à ce moment-là": "J’ai ressenti de la fierté, qui m’a poussé à le féliciter lui et son équipe sur Twitter, de la tristesse, de la mélancolie, une pointe de jalousie. Il y avait un mélange de tout ce jour-là." Après une tournée au Cameroun pour fêter son titre, pour lequel il n’a jamais rendu le moindre hommage à sa formation au MMA Factory, il refuse d’affronter son challenger Derrick Lewis en août dernier.
Déjà énervée par des négociations qui n’avancent pas alors qu’il ne lui reste qu’un combat sur son contrat, l’UFC se venge en opposant l’Américain à Gane pour une ceinture de champion intérimaire. Le Français s’impose et le choc Ngannou-Gane devient réalité. De quoi voir le passé remonter à la surface. L’UFC en a joué avec l’épisode de l’UFC 268, au Madison Square Garden, quand le combattant camerounais passe devant son ancien coach, Gane et son ancien partenaire d’entraînement Nassourdine Imavov (qui venait de remporter une belle victoire sur Edmen Shahbazyan) sans les saluer sous l’œil de la caméra d’un téléphone portable idéalement placé, Ngannou expliquant ensuite qu’il n’avait pas de problème avec Gane mais ne voulait pas dire bonjour à un Lopez qui a "dit des choses sales sur (lui)".
Les journalistes s’en donnent aussi à cœur-joie pour relancer Lopez et Ngannou sur ce thème à la moindre occasion. Le premier a expliqué "préférer entraîner Ciryl gratuitement que Francis pour 100.000 dollars" et lâché que son ancien élève n’était "pas une bonne personne". "Quand les gens réaliseront qui est Francis Ngannou, ils seront choqués", précisait-il au micro de The Bash MMA. Et de compléter pour MMA Fighting: "On a passé cinq ans ensemble. Quand tu deviens quelqu’un, aide les gens!" Il a aussi moqué les envies de boxe du Camerounais, qui rêve de croiser Tyson Fury ou Deontay Wilder dans un ring: "Tu n’aurais même pas la licence de boxe amateur". Le second a lancé au magazine GQ que le problème de son ancien coach était de "vouloir devenir célèbre et être sous le feu des projecteurs" et a "rigolé" devant les images de sparring de début 2019 entre lui et Gane diffusées par le clan du Français car elles allaient dans le sens de ce dernier, finissant par prétendre que d’autres pas sorties montraient un KO qu’il avait infligé ("un accident", selon lui) au "Bon Gamin".
Lopez a aussi affirmé qu’il connaissait "ses maux, ses antécédents médicaux, ses problèmes de dos et ce qui le fatigue, ses faiblesses mentales", précisant au Betway Blog qu’il l’avait "aidé à retirer son short pour qu’il arrive à respirer normalement après sa première défaite". Il s’est amusé à expliquer les progrès de Ngannou par un combattant "plus à l’écoute grâce à son enseignement au MMA Factory": "Quand tu te sépares de ton ex, et que ton ex te reprochait de ne pas lui accorder de temps pour faire une balade dans un parc, tu accorderas plus de temps à la prochaine copine pour ça. Comme j’ai appris de mon ex pour améliorer mon rapport avec mon futur combattant, Ciryl Gane."
Ngannou, qui aurait sans doute aussi des détails à raconter sur leur relation mais qui peut remercier son ancien coach pour le choix du MMA qui s'est avéré payant puisqu'il l'a mené à un titre mondial, lui a répondu qu’il ne le connaissait plus car il avait "beaucoup grandi en trois ans" à Vegas, où il se sent "à la maison", et auprès de Nicksick à qui il attribue ses progrès sur le plan mental et sa progression technique globale après s’être "bien senti chez lui dès le début": "Je ne me battais avec personne de la salle, j’étais en paix. (…) Avec Fernand, on avait eu des hauts et des bas depuis le premier jour. On a toujours été en désaccord sur des choses. Il avait son rêve, j’avais le mien, et je suis passé à autre chose." Il a par contre affirmé que lui-même connaissait parfaitement Lopez, "comment il fonctionne, comment il réfléchit et son plan de jeu", et pointé sa tendance à "se voir lui-même dans son combattant". Et son ancien coach de répliquer en évoquant le combat à venir face à un Gane plus technique et plus mobile: "Francis ne peut faire qu’une chose. S’appuyer sur sa puissance. S’il ne le fait pas, il sera humilié."
Le tout participe à un storytelling idéal pour vendre le pay-per-view du combat, ce qui met Lopez au centre du jeu en "paratonnerre" – malin pour protéger Gane de la pression – mais arrange les deux gladiateurs de la cage qui touchent un pourcentage sur ces ventes. Même si le scénario distillé est plus ou moins orienté selon où on se trouve. "En France, on se fie à ce que Fernand ou Ciryl disent, rappelle Ngannou. Il faut que le Camerounais soit le vilain, surtout avec l’histoire qui est racontée." Le patron du MMA Factory s’en mordra-t-il les doigts? La situation peut chauffer Ngannou et le surmotiver. S’il conserve sa ceinture, ce dernier dit qu’il ira saluer son adversaire mais qu’il n’est pas sûr de le faire pour son ancien coach. Lopez, lui, lance qu’il pourrait prendre un café avec son ancien élève mais qu’ils ne seront "jamais amis".
Sur le même sujetTout le contraire de sa relation avec Gane, bien plus cordiale et bien plus simple sur tous les plans, comme lorsqu’il accepte tout de suite l’accompagnement psychologique refusé à l’époque par Ngannou. "Mes valeurs se rapprochent plus de celles de Ciryl", confirme-t-il. Le technicien concède tout de même que "Francis a apporté beaucoup de lumière au MMA français, au MMA Factory": "Il a fait de moi le coach que je suis aujourd’hui et m’a donné l’occasion d’être connu, mais je lui ai donné l’opportunité de devenir qui il était". Il explique que son nouveau coach, Nicksick, "a trouvé la solution pour canaliser l’énergie de Francis et le calmer pour qu’il soit plus efficace". Il va pouvoir vérifier ça très vite. Lopez ne sera pas dans la cage. Mais il sera bien au centre du choc.
https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport
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