Marion Thénault | La fille qui fait des flips | La Presse

Marion Thénault | La fille qui fait des flips | La Presse

L’année 2021 a été renversante, à tous points de vue. Pour Marion Thénault, la dernière année a été celle de la grande éclosion, pendant laquelle l’inconnue qu’elle était est devenue le nouveau visage de son sport.Marion Thénault | La fille qui fait des flips | La Presse Marion Thénault | La fille qui fait des flips | La Presse

Publié à 7h00
Nicholas RichardLa Presse

À 21 ans, Marion Thénault vient de vivre probablement l’année la plus chargée de sa vie. En plus d’amorcer ses études en génie aérospatial à l’Université Concordia, la skieuse acrobatique spécialisée dans l’épreuve de sauts, les aerials, a conclu sa première année sur le circuit de la Coupe du monde. Elle a terminé troisième au classement général, elle a remporté le titre de recrue de l’année et elle s’est aussi qualifiée pour ses premiers Jeux olympiques.

Une première saison qui imposait un bilan au tournant de la nouvelle année, parce que tout est allé tellement vite.

La Sherbrookoise a fait de la gymnastique pendant 14 ans. À l’âge de 17 ans, elle s’est inscrite au camp des recrues RBC, qui sert de vitrine aux jeunes athlètes du Canada qui rêvent d’aller aux Jeux olympiques. Thénault s’est alors fait remarquer par un entraîneur de ski acrobatique. Elle ne savait pas trop, à ce moment, ce qu’était l’épreuve des sauts. Elle a donc découvert un sport et un univers dans lesquels elle a eu envie de plonger tête première, sans savoir ce que ça impliquait. Elle est devenue membre de l’équipe nationale en 2020, et à peine deux ans plus tard, chaque fois qu’elle est en haut de la piste, elle a une chance de gagner.

Marion Thénault est l’un des meilleurs espoirs de médaille du Canada et elle le sait. Il y a plusieurs marches à gravir pour devenir une athlète élite, mais Thénault monte les escaliers deux à deux. C’est ce qui lui a permis de grimper sur le podium à plusieurs reprises et de rivaliser avec des adversaires qui pratiquent ce sport depuis des dizaines d’années.

Ç’a été une année déterminante, où j’ai franchi une étape importante et pendant laquelle j’ai découvert que j’avais ma place sur le circuit de la Coupe du monde.

Marion Thénault

Depuis le début de la saison 2021, elle est parvenue à se classer parmi les cinq meilleures skieuses 8 fois en 15 compétitions. Une tendance qui ne ment pas, dans ce sport où tout est une question de détails. En terminant la saison au troisième rang mondial, la skieuse a imposé un standard, qu’elle-même ne croyait pas accessible si vite.

Atteindre un tel niveau d’excellence lorsqu’on ignorait l’existence même du sport au début du cycle olympique n’est pas banal. Sauf que Marion Thénault est loin d’être une athlète comme les autres.

Alors qu’elle a le sourire accroché au visage tout au long de l’entretien, la passion et l’amour qu’elle porte pour son sport ne font aucun doute. Sa réaction est sans équivoque lorsqu’on lui demande si elle réalise ce que ça signifie d’occuper une telle position dans un classement mondial : « Bah oui… mais à vrai dire… ouin non », avant d’éclater de rire. Un rire qui cache à la fois humilité et fierté.

« On n’en parle pas vraiment [du classement], c’est arrivé et c’est tout, a expliqué Marion Thénault, chez elle, en Estrie. Je veux être dans le top 3, c’est là que je me visualise, mais je sais que j’ai encore tellement de choses à accomplir dans mon sport. J’ai atteint un certain niveau en quatre ans, mais je sais que dans le prochain cycle, je peux atteindre un tout autre niveau. Oui, je suis dans les meilleures, mais encore là, personnellement, en tant qu’athlète, j’ai encore beaucoup de cheminement à faire, donc je ne le vois pas comme une finalité en soi. »

Le nouveau visage du ski acrobatique

L’épreuve des sauts n’est pas la plus populaire ni la plus médiatisée. Par contre, les choses tendent à changer avec les succès d’une championne comme Thénault. La Coupe du monde était de retour au Centre de ski Le Relais, à Lac-Beauport, au début du mois de janvier. La jeune athlète sent qu’elle a la responsabilité de faire grandir son sport, surtout chez elle, et il y a différentes manières d’y arriver. Comme remporter la médaille d’argent. Ce qu’elle a fait. En plus d’accorder du temps aux médias et aux jeunes athlètes venus l’encourager.

Marion Thénault | La fille qui fait des flips | La Presse

Je ne suis pas arrivée en ski acrobatique en me disant que j’allais devenir le visage de mon sport. C’est juste arrivé naturellement et ça me plaît. C’est vraiment super, parce que je vois un impact concret et l’engouement grandit.

Marion Thénault

Elle se réjouit aussi de constater que le nombre d’inscriptions chez les jeunes filles est à la hausse au camp des recrues RBC. Selon elle, c’est un signe qui ne ment pas. C’est aussi une raison supplémentaire de raconter son histoire.

Elle confie toutefois que cette compétition au Relais était sans l’ombre d’un doute l’un des moments les plus stressants de sa jeune carrière. Elle reçoit tellement d’amour et de soutien de la part de la communauté de ski acrobatique et des partisans qu’elle ne voulait décevoir personne. C’est aussi ça, Marion Thénault.

Privilégiée et reconnaissante

L’année que l’on vient de vivre a été pénible pour un tas de gens. C’est pourquoi l’une des premières choses qu’elle a nommées en faisant son bilan, c’est à quel point elle avait été chanceuse de pouvoir faire ce qu’elle aimait le plus au monde, de pratiquer son sport et de voyager aux quatre coins du monde.

Et même si, parfois, tout ne va pas comme elle le voudrait, Marion Thénault a le bonheur facile. Une athlète que tout le monde souhaiterait avoir comme coéquipière, ou même comme rivale, mais avant et après la course. Jamais pendant.

Même si dernièrement elle s’est mis beaucoup de pression sur les épaules et que l’ampleur de la compétition a peut-être eu le dessus sur le plaisir qu’elle a à compétitionner, Thénault s’est vite ressaisie : « Je veux garder cette joie de vivre qui m’a permis de me rendre où j’en suis aujourd’hui. »

Marion Thénault vit un rêve. Un rêve dont elle ne souhaite jamais se réveiller.

« Je n’en reviens pas, chaque fois. Je suis une athlète et ma job, c’est de faire des flips. Je suis payée pour faire des flips, c’est incroyable ! C’est vraiment chouette et je suis très reconnaissante. Dans le contexte de la pandémie, tout le monde a été affecté, ç’a été difficile pour tellement de gens dans tellement de domaines, et nous, on a pu continuer à pratiquer notre sport, à voyager, à compétitionner, comment ne pas en être reconnaissante et se sentir privilégiée ? C’est pour ça que je dois en profiter au maximum. »

À 21 ans, Marion Thénault vivra sa première expérience olympique dans quelques jours. Entre des cours à distance, des flips et l’engouement des Jeux, elle trouvera certainement le temps de rire, et de sourire. Profiter du moment présent ne sera pas un défi trop complexe pour elle. Montrer toute l’étendue de son talent au monde entier ne devrait pas l’être non plus.

Entre rêve et naïveté

Lors des derniers Jeux olympiques, Marion Thénault regardait l’épreuve des sauts acrobatiques à la télévision chez l’une de ses coéquipières. Elle n’avait même pas encore fait ses premiers sauts sur la neige. D’ici quelques jours, c’est elle qui sera à la télévision.

En y repensant, ce moment l’a laissée un peu perplexe. D’une part, parce qu’elle trouvait le spectacle et les athlètes impressionnants. D’autre part, elle ne réalisait pas ce que ça impliquait, de se rendre aux Jeux olympiques. Tout était tellement nouveau à l’époque.

Évidemment, le rêve de participer aux Jeux olympiques sommeille en elle depuis longtemps. C’est entre autres pour ça qu’elle a participé au Camp des recrues RBC. Cependant, elle est arrivée dans cette aventure à 17 ans avec beaucoup de naïveté, avoue-t-elle.

Au départ, c’était assez simple. J’aime skier et j’aime faire des flips. Sauf que j’ai commencé à avoir de bons résultats et les conséquences de mes bons résultats sur mes sauts commençaient à être plus grandes, au niveau du risque notamment.

Marion Thénault

Un diamant brut comme Thénault n’a pas besoin d’être poli bien longtemps. Avec un talent naturel comme le sien, la Sherbrookoise est rapidement devenue l’une des meilleures au Canada. Ensuite, c’est toute la planète qui l’a découverte. Rapidement, on lui a fait savoir qu’elle avait le potentiel pour croire en une participation aux Jeux olympiques de 2022. Puis, en une chance de médaille.

Il est évident qu’en finissant parmi les cinq mieux classées une Coupe du monde sur deux depuis le début de sa carrière et en finissant troisième du classement général l’année dernière, à sa saison comme recrue, les attentes sont élevées à l’égard de la skieuse de 21 ans.

Elle pense toutefois être capable d’en faire abstraction. La naïveté avec laquelle elle est arrivée sur le circuit aura probablement été la clé de son succès : « Ç’a quasiment été une force. Je ne me suis jamais bloquée, je ne suis jamais dit que je n’allais pas être à la hauteur ou que je n’avais pas assez d’expérience pour remplir mes objectifs. Je savais que j’étais capable, c’est arrivé vite, mais j’ai besoin de ça, j’adore ça. »

Les chances que Thénault monte sur le podium à Pékin sont élevées. Aucune Canadienne n’a remporté de médaille olympique à l’épreuve des sauts depuis Veronica Brenner et Deidra Dionne, qui ont respectivement gagné l’argent et le bronze aux Jeux de Salt Lake City en 2002. À l’époque, Marion avait 1 an.

Une préparation suffisante et réfléchie

Son début de saison a été un peu plus compliqué qu’elle ne l’aurait espéré. Cependant, à la mi-décembre, elle a commencé à enchaîner les bonnes performances avec quatre top 5 en quatre courses, dont une médaille d’argent au Centre de ski Le Relais, à Lac-Beauport, pour ponctuer sa préparation olympique.

« Je trouve que je saute mieux que l’année passée », a-t-elle précisé.

Maintenant, il ne lui reste plus qu’à suivre son plan et à concourir à la hauteur de sa préparation, de son entraînement et de son talent : « Techniquement, j’ai déjà fait tout le travail que j’avais à faire pour être prête pour les Jeux. Je ne vais pas révolutionner mon saut en trois semaines. Tout est là et le but, c’est d’arriver le plus confiante possible. Mon objectif, c’est de faire les meilleurs sauts que je suis capable de faire et je pense que je vais vraiment être au niveau souhaité rendue aux JO. »

Après avoir remporté la médaille d’argent lors de la Coupe du monde au Relais, Thénault et son équipe ont pris la décision de s’éloigner de l’action.

Il est évident qu’elle aurait aimé poursuivre sur sa lancée, mais la skieuse est en paix avec sa décision. C’est en grande partie la propagation du virus Omicron qui a convaincu Thénault de rester à l’écart, pour limiter le plus possible les risques d’avoir un test positif juste avant les Jeux. Grâce à sa magnifique première saison l’an dernier, elle n’avait besoin que d’un top 12 cette saison pour se qualifier automatiquement pour les Jeux, ce qu’elle a réussi à faire dès la première course de la saison.

Il fallait regarder ma liste de priorités. Évidemment, les Jeux olympiques sont en haut, donc je vais faire tourner le reste de mes décisions autour de ça.

Marion Thénault

Comme l’a souligné Thénault, il y a tellement de facteurs incontrôlables, comme la COVID-19 et les blessures. Les athlètes ont beau être dans la meilleure forme de leur vie, être prêts, être qualifiés, il suffit d’un test positif pour regarder les Jeux à la télévision. « Ça ne me tente vraiment pas. On a donc mis l’accent sur le repos, la préparation et enlever le stress de contracter le virus. »

Regarder en avant

D’ici quelques jours, lorsqu’elle sera en Chine, au sommet de la piste, le bras dans les airs comme signal de départ, rien de ce que Marion Thénault aura accompli n’aura d’importance. Ni sa troisième place au classement mondial, ni son titre de recrue de l’année, ni sa victoire à la Coupe du monde d’Almaty. « Quatre-vingts pour cent du saut se passe dans la tête, donc le but, en arrivant aux Jeux, c’est d’être confiante, ne pas avoir peur et se sentir en pleine forme, parce que mon état physique va avoir un gros impact sur mon état mental », a-t-elle précisé.

Bref, tout va à la fois très vite et très lentement. C’est le paradoxe que vit Marion Thénault. Surtout depuis qu’elle sait qu’elle réalisera son rêve de participer aux Jeux olympiques. Elle sait qu’elle est parmi les prétendantes, que des millions de personnes la regarderont. Elle est consciente de l’effet qu’une médaille olympique pourrait avoir sur la suite de sa carrière et pour son sport. Il ne reste plus qu'à sauter.

N’empêche, pour l’étudiante en génie aérospatial à l’Université Concordia, tout est normal. Son quotidien reste le même… pour le moment. D’ici une semaine à peine, sa vie sera changée à jamais, puisqu’elle sera pour toujours une olympienne.

« Je ne suis pas certaine de le réaliser encore, mais j’aime ça, être dans cette naïveté-là. »

Tout est tombé à point pour Marion Thénault depuis 2017, lorsqu’elle s’est inscrite au Camp des recrues RBC. De Sherbrooke à Pékin, elle a franchi chaque étape avec détermination et sourire. C’est l’histoire d'une fille terre à terre, qui marque pourtant les esprits dans les airs.

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