Entrevues - Châtelaine

Entrevues - Châtelaine

Montréalaise de cœur

Si Denise Ho, 42 ans, est aujourd’hui une femme aussi entière et prête à assumer les conséquences de ses actes, c’est parce que ses parents, deux enseignants, lui ont appris à penser par elle-même. C’est également parce qu’elle a vécu au Québec. «Mes valeurs, mon indépendance, mes principes, tout a pris racine au Québec. À Montréal, on peut être soi-même», a-t-elle déjà déclaré au magazine The New Yorker.

Née à Hong Kong en 1977, Denise Ho immigre ici à l’âge de 11 ans avec sa famille. Après son secondaire à La Prairie, elle fréquente le collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal, puis commence des études en design graphique à l’Université du Québec à Montréal. Elle a 18 ans lors du référendum de 1995, de quoi éveiller sa conscience politique.

Elle parle encore français aujourd’hui, en cherchant un peu ses mots… et toujours avec un accent québécois!

L’appel de la scène

Douée pour la musique, elle s’inscrit à 19 ans à un concours de chant télévisé à Hong Kong, l’équivalent de Star Académie. À sa grande surprise, elle gagne! L’une des juges est nulle autre que son idole, Anita Mui, la reine de la cantopop – un style musical aux influences folk, rock et électro populaire en Asie. La diva lui ouvre les portes du show-business. La carrière de HOCC (nom de scène de DeniseHo) est lancée et la jeune femme retourne vivre sur sa terre natale, suivie par le reste de sa famille. Elle enregistre une trentaine d’albums en 20 ans et multiplie les tournées. Elle joue aussi dans une douzaine de films et quelques téléséries.

Star de la chanson, elle a une trentaine d’albums à son actif. (Photo: Getty Images/TBG)

Militante arc-en-ciel

Entrevues - Châtelaine

Denise Ho devient la première artiste féminine hongkongaise à parler publiquement de son homosexualité, en novembre 2012. Moins d’une semaine plus tard, elle milite déjà activement pour la cause! Le Parlement vient de refuser de mener une consultation publique sur la discrimination à l’endroit des gais. «Cela m’a mise dans une telle colère, raconte-t-elle alors sur les ondes de CNN Asie. C’était la première fois que je réalisais à quel point le système était injuste et que le gouvernement contrôlait tout.»

Elle est de tous les combats en faveur de la démocratie à Hong Kong. (Photo: Getty Images/South China Morning Post)

Arrêtée et bannie en Chine

En 2014, DeniseHo se joint aux dizaines de milliers de Hongkongais qui manifestent pour réclamer des élections au suffrage universel. Une promesse qui a été faite par les dirigeants communistes chinois au moment où cette ancienne colonie britannique a été rétrocédée à la Chine en 1997.

Les parapluies utilisés par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes inspirent à un jeune compositeur la pièce Raise the Umbrellas. Interprétée par plusieurs artistes, dont Denise Ho, elle devient un hymne du mouvement prodémocratie.

En décembre 2014, la police chinoise met fin à la contestation en arrêtant les manifestants qui participent à un sit-in. Denise Ho est du nombre. En représailles, la Chine lui interdit de donner des concerts sur son territoire continental et retire toutes ses chansons des plateformes d’écoute en ligne chinoises. Elle perd des millions de dollars de revenus. «Si je dois choisir entre la liberté et l’argent, le choix est évident pour moi», dit-elle à Radio-Canada.

Denise Ho a porté la cause de Hong Kong jusqu’à l’ONU à l’été 2019. (Photo: Getty Images /Fabrice Coffrini)

Lâchée par Lancôme

En réaction à un article publié dans le Global Times, Lancôme annule un concert que la chanteuse devait donner lors d’un événement promotionnel à Hong Kong, en juin 2016. Ce journal favorable au régime chinois accuse l’entreprise de cosmétiques de collaborer avec une artiste qu’il qualifie de «poison hongkongais». L’interprète dénonce la décision sur sa page Facebook: «Quand une marque mondiale comme Lancôme en est réduite à s’agenouiller devant un pouvoir hégémonique et intimidant, nous devons affronter le problème de face.»

Elle est arrêtée en 2014, alors qu’elle participe à un sit-in prodémocratie. (Photo: Getty Images/Lucs Schifres)

Tour du monde

Juillet 2019. Denise Ho fait un discours devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à Genève. Elle dénonce les arrestations arbitraires et la brutalité policière lors des manifestations – balles de plastique, gaz lacrymogène et puissants jets d’eau colorée pour identifier les manifestants. Les Hongkongais ont en effet recommencé à manifester pour la démocratie. Une foule d’un million et demi de personnes descend dans la rue pour l’une de ces marches. Sans leaders officiels, le mouvement repose sur la force des réseaux sociaux et sur la voix de personnalités comme Denise Ho.

L’an dernier, l’artiste a amorcé un tour du monde à Oslo, New York, Taipei, Washington. Chaque apparition publique, concert ou conférence est un plaidoyer en faveur du peuple hongkongais. Car rien n’est réglé. Les manifestants se radicalisent et les autorités sont de plus en plus dures. Fin 2019, la police a tiré à balles réelles et trois personnes ont été blessées.

«À Hong Kong, il est rare que les célébrités s’engagent dans les mouvements sociaux et la politique», a­-t­-elle dit au magazine Mother Jones. Denise Ho est dans une classe à part.

DÉPOSÉ SOUS: ChineDémocratieféminismemagazine mars / avril 2020militantisme
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