Le rap expliqué aux parents

Le rap expliqué aux parents

Branchés sur la fréquence radio de Skyrock ou de Mouv’, casque sur la tête ou écouteurs enfoncés dans les oreilles, scotchés sur un écran, les ados et pré-ados écoutent du rap, regardent du rap, pensent rap… Et ce, parfois, depuis des années. « Depuis le CM2 », confie tranquillement Arthur, 15 ans.

Les parents n’en ont pas toujours conscience. Parfois, ils ferment les yeux. Tant que leurs oreilles n’en souffrent pas trop. Le succès phénoménal des concerts, des ventes d’albums de rap, genre musical le plus en vogue en France, leur passe un peu au-dessus de la tête. Il est vrai que le phénomène se reflète peu dans les médias grand public, qui préfèrent évoquer le rap quand il crée la polémique : Booba et Kaaris se sont bagarrés à l’aéroport de Roissy ; Médine, auteur de l’album Jihad, veut se produire sur la scène du Bataclan, lieu des attentats du 13 novembre 2015 ; Black M est pressenti pour chanter au mémorial de Verdun.

Alors, forcément, le rap inquiète. Ces chanteurs qui alimentent le buzz, voire le scandale, nos enfants les écoutent, s’échangent titres et vidéos, s’expriment comme eux, en leur empruntant des expressions peu amènes. Rébellion, violence, drogue, bling-bling, vulgarité, sexisme voire racisme… les images relayées par les médias viennent cogner avec les principes éducatifs des familles. « Mon ado peut-il être influencé par les modèles que véhicule cette musique ? », se demandent beaucoup de parents.

« Le rap donne une voix aux proscrits »

Né aux États-Unis à la fin des années 1970, le rap est issu de la culture hip-hop, une nouvelle forme d’art qui s’exprime dans la rue par la danse, le graphisme et la musique. À la fois mouvement musical et mouvement de conscience sociale, « le rap donne une voix aux proscrits, leur permet de scander, de revendiquer, de communiquer sous une forme minimale, de formuler l’angoisse et le désespoir », écrivent José-Louis Bocquet et Philippe Pierre-Adolphe dans Rap ta France. Histoires d’un mouvement.

En France, dans les années 1980, les jeunes des banlieues se reconnaissent dans cette forme d’expression. « Aujourd’hui, le rap touche un public bien plus large. Il est devenu plus commercial, plus ouvert musicalement », remarque Olivier Cachin, journaliste et écrivain. Le rap français se caractérise par la richesse et la variété de ses auteurs, issus en majorité de la population d’origine immigrée. Il se distingue aussi par l’originalité et la spécificité de son langage puisé dans le vocabulaire des banlieues.

« Le rap, c’est le rock d’hier et la pop d’aujourd’hui », estime Pascal Cefran, animateur de la radio Mouv’,mais il souffre encore de clichés, voire de préjugés qui tendent à s’atténuer. » En effet, on ne peut pas considérer le rap d’un seul bloc. Il existe toutes sortes de courants musicaux, du « gangsta rap » qui joue sur les codes du cinéma violent au « rap littéraire » qu’incarne Gaël Faye, écrivain lauréat du Goncourt des lycéens en 2016. « Une variété de styles, aussi différents que peuvent l’être, dans le domaine du rock, Iggy Pop et Phil Collins », ajoute Olivier Cachin.

« Se rappeler leur propre jeunesse »

« Chacun cherche ce qui va résonner en lui, analyse Benjamine Weill, philosophe. Le rap variétés de Bigflo et Oli, Maître Gims ou Soprano plaît aux moins de 12 ans qui apprécient sa musicalité et ses messages positifs. Beaucoup d’ados, eux, versent dans le “trash” ou le “street” de Booba ou Ninho. Tandis que leurs aînés sont friands de rap à texte, plus indépendant, comme Vîrus, Dooz Kawa ou LaCraps. » Selon la philosophe, à la puberté se joue le retour du pulsionnel. Le jeune cherche dans son entourage comment apprivoiser cette violence intérieure. À travers le beat (rythme) du rap, ses paroles crues, l’ado extériorise ses angoisses, ses frustrations, sa colère.

Depuis les années 1960, chaque génération d’adolescents a développé sa musique pour s’émanciper et bousculer les adultes. Les ados ont besoin de se différencier, de développer une culture entre pairs, avec un désir de transgression. « Écouter du rap, c’est une façon de demander à ses parents :“Est-ce que tu continueras à m’aimer si je ne corresponds pas à ce que tu voulais que je sois ?” », analyse Benjamine Weill, qui invite les adultes à « se rappeler leur propre jeunesse » et les chansons un peu salaces (Elmer Food Beat, Madonna…) qu’ils écoutaient à l’époque.

Musique, le saut de générations

Violent, le rap ? « Une mise en scène », assure Olivier Cachin, qui compare certaines outrances du genre aux films d’Arnold Schwarzenegger que l’on va voir pour se divertir. Le point commun étant « leur effet exutoire et fantasmagorique ». Le rap est aussi accusé de propager des images à caractère sexiste.

Prendre le temps d’écouter avec lui des chansons de rap

Pour Éloïse Bouton, militante féministe et fondatrice de Madame Rap (1), ce genre musical « n’est que le miroir de notre société, le reflet exacerbé de ses failles avec l’utilisation de codes plus ou moins frontaux, qui ne tournent pas autour du pot ».

Néanmoins Benjamine Weill se veut optimiste : « Les modèles ne sont pas figés, les postures évoluent. Les rappeurs expriment davantage leurs émotions, dénoncent les stéréotypes. » Certains professeurs de français font étudier des chansons au collège ou en ateliers d’écriture.

Ne pas généraliser, ne pas diaboliser… et, surtout, ne pas couper la relation avec son ado : c’est la conviction d’Amélie Devaux, psychopraticienne au sein de Chagrin scolaire (2). Pour cette thérapeute, il est important de maintenir le dialogue, en évitant d’imposer son avis. Prendre le temps d’écouter avec lui des chansons de rap. Ce que l’on trouve choquant, on en parle ensemble pour aider son enfant à prendre conscience de ce qu’il écoute, à distinguer le bon du moins bon et, ainsi, lui donner les moyens de choisir.

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Le genre musical le plus en vogue en France

Au premier semestre 2018, parmi les artistes français dont le répertoire a été le plus acheté et le plus écouté en streaming audio, le rap occupe 14 des 20 premières places de ce classement. Jul (« La tête dans les nuages »), Damso (« Ipseité »), Vald (« Désaccordé »), Ninho (« M.I.L.S.2.0 »), Booba (« Trône »), Orelsan (« La fête est finie »), Sofiane (« Affranchis »).

► Consulter

Rap Genius, plate-forme participative d’explication de textes de rap : genius.com/rap-genius-france

► Lire

Rap ta France. Histoires d’un mouvement, de José-Louis Bocquet, Philippe Pierre-Adolphe, Éd. La Table Ronde, 10,20 €.

Parents, devez-vous avoir peur du rap ?, étude à télécharger sur le site de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO) : www.fapeo.be

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