Electro-hypersensibilité : faut-il avoir peur des ondes ?

Electro-hypersensibilité : faut-il avoir peur des ondes ?

« Qu'est-ce qu'il vous faut de plus pour nous croire ! » Ancien technico-commercial de 57 ans aujourd'hui en invalidité due, d'après lui, à son électro-hypersensibilité, Rémy est manifestement en colère. « Les études scientifiques venant attester des dangers pour la santé de l'exposition aux ondes électromagnétiques se multiplient. De même que le nombre de victimes. Et pourtant les pouvoirs publics et l'institution médicale continuent de minimiser le problème. »

La frustration et l'amertume de Rémy sont compréhensibles. Acouphènes, insomnies, fatigue… depuis une quinzaine d'années il vit un véritable calvaire. « Avant de devenir hypersensible, j'étais un gros utilisateur du téléphone portable en particulier pour mon travail, explique-t-il. À raison de deux heures et demie quotidiennes, j'ai calculé que ça faisait un cumul de 4 500 heures en dix ans. Un jour le corps dit stop et vous devenez intolérant. Antennes relais, wifi, téléphone… dans la phase de crise, tout vous agresse. Les champs électromagnétiques usent votre organisme. J'étais anéanti, je pleurais toute la journée. »

Anxiété, palpitations et insomnies

Le cas de Rémy est loin d'être une exception, le problème concernerait près de 5% de la population mondiale. Même si tous ne vivent pas leur hypersensibilité de manière aussi aiguë que Rémy, le chiffre est considérable. Mais, pour l'heure, on a encore très peu de certitudes sur la manière dont ce phénomène se déclenche. Et surtout, s'il est véritablement causé par les champs électromagnétiques (CEM).

La plupart des symptômes dont se plaignent les malades comme l'anxiété, les palpitations, les insomnies, sont en effet dits « non spécifiques » et pourraient venir d'ailleurs. En l'absence d'un tableau clinique cohérent et de preuves irréfutables, les autorités médicales classent ces troubles au registre des intolérances environnementales idiopathiques - autrement dit, d'origine inconnue. De fait,les arrêts de travail sont souvent établis sous le couvert de burn-out ou de dépression. Pour les électro-hypersensibles (EHS) pourtant, la source de leurs maux ne fait aucun doute.

Un test yeux bandés

« Au début, on ne fait pas nécessairement le lien entre les réveils nocturnes, les palpitations, les fibromyalgies et les ondes électromagnétiques », explique Sophie Pelletier, présidente du collectif Priartem (Pour rassembler informer agir sur les risques liés aux technologies électro - magnétiques). Puis le déclic se produit. Dans le cas de cette ingénieure en environnement, il s'est fait alors que son mari était en train de connecter son nouveau téléphone portable dans son salon. « J'ai senti comme un éclair me traverser le cerveau », raconte-t-elle.

Face au scepticisme de sa famille, elle accepte de se soumettre à un test : un circuit en voiture à proximité d'antennes relais. « Les yeux bandés, j'ai réussi à détecter chaque fois que l'on passait à côté d'un émetteur. » Certes pas de quoi établir les faits scientifiquement. Mais tout de même troublant ! « En période de crise on a un ressenti quasi instantané des ondes », indique-t-elle.

Barricades

L'intolérance peut se manifester de manière progressive ou se déclencher du jour au lendemain. Et tout le monde n'est pas forcément sensible aux mêmes fréquences. Emeline l'est surtout aux plus basses, celles provenant du courant électrique. « Ce n'est qu'après avoir déclaré mon hypersensibilité que j'ai fait le lien avec le fait d'avoir dormi pendant dix ans au-dessus d'un transformateur électrique présent dans la cave située sous mon appartement », explique la professeure de maths de 56 ans, aujourd'hui en congé longue durée.

Pour tous, le seul moyen de diminuer les symptômes c'est de se mettre à l'abri des CEM. Mais revenir au téléphone et à l'ordinateur filaires n'est pas toujours suffisant. Beaucoup font appel à des géobiologues pour repérer les sources d'émission dans leur espace de vie. Y compris celles venant de l'extérieur, comme le wifi des voisins. Ensuite, chacun se barricade comme il peut. Emeline a fait installer des voilages anti-ondes à ses fenêtres et a étendu une couverture de survie en aluminium à la tête de son lit.

Des niveaux encore trop élevés

En se protégeant, les EHS arrivent à faire baisser l'intensité des symptômes, mais n'en guérissent jamais complètement. Ils doivent apprendre à vivre avec. Ainsi, lorsqu'il va dîner chez des amis, Rémy leur demande a minima de couper le wifi. Emeline a retrouvé de l'autonomie en reprenant sa voiture qu'elle avait abandonnée de peur de traverser des champs électromagnétiques trop forts. Mais comme Rémy ou Sophie, dès qu'elle s'expose de trop dans la journée, elle le paye le soir ou le lendemain.

Electro-hypersensibilité : faut-il avoir peur des ondes ?

Chacun en conviendra, personne n'a envie de vivre ça. Il est donc légitime de s'interroger si la multiplication des champs électromagnétiques (CEM) est aussi inoffensive qu'on nous l'assure. Des seuils d'émission en fonction des fréquences ont été établis sur la foi des recommandations émises par une commission scientifique internationale (l'ICNIRP), reprises par l'OMS et la Commission européenne. Mais pour Sophie Pelletier, ces niveaux censés nous mettre à l'abri du danger sont beaucoup trop élevés : « Ils ne tiennent compte que du risque d'échauffement des tissus et n'intègrent ni les effets à long terme ni le cumul des sources d'émissions qui en décuplent l'intensité. »

Temps d'usage et temps d'émission

Le régulateur les considère, au contraire, bien trop faibles pour avoir un impact sur la santé. Avec le progrès technique ces émissions auraient même, dans l'absolu, tendance à baisser. « Les GSM d'hier émettaient 50 fois plus que les téléphones 2G et 3G qui leur ont succédé », assure Joe Wiart en charge de la chaire Caractérisation, modélisation et maîtrise de l'exposition aux champs électromagnétiques de Télécom ParisTech - financée notamment par Orange, TDF ou l'ANFR.

Cet ingénieur des mines concède qu'on utilise nos smartphones beaucoup plus longtemps que les GSM, « mais c'est souvent pour surfer sur Internet avec l'appareil dans la main. Or dans cette position les émissions sont divisées par 100 ». Bref, selon lui, il ne faut pas confondre temps d'usage et temps d'émission. De même, à l'en croire, il serait inutile d'éteindre sa box wifi la nuit. « Hors transmission, le signal est tellement faible qu'il peut être considéré comme négligeable, surtout au-delà d'1,50 m. »

Maîtriser l'environnement des tests

Toute une rhétorique rassurante qui fait hurler le camp des EHS. Pour eux, lorsque dans un appartement on capte une bonne douzaine de wifi, c'est tout sauf inoffensif. « Les résultats des relevés que nous faisons dans les écoles, les entreprises ou chez les particuliers et qui prennent en compte toutes les sources d'émission, sont à notre avis souvent inquiétants », assure Catherine Gouhier, vice-présidente du Centre de recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem). Les EHS remettent aussi en cause la manière dont sont réalisées les mesures dans les laboratoires « loyalistes ».

À défaut de pouvoir faire des expérimentations in vivo, on utilise en effet des « fantômes », sorte de coques remplies d'un liquide, supposés réagir comme un crâne humain. Les opérateurs télécoms avancent un argument massue pour mettre les ondes hors de cause : les résultats des études dites de provocation. Ces tests consistent à demander à des EHS de deviner s'ils sont en présence ou non d'un champ électromagnétique, activé et désactivé à leur insu. Or, pour l'instant, aucun ne s'est révélé concluant. Là encore, les EHS contestent la méthodologie.

« Il aurait fallu sélectionner des individus dans la phase aiguë de leur intolérance et maîtriser beaucoup mieux l'environnement du test, s'insurge Sophie Pelletier. Nous ne sommes tout de même pas des ampoules capables de clignoter au moindre signal ! »

Le stress...des tomates

La présidente du Priartem préfère mettre l'accent sur les études qui ont mis en évidence l'impact des CEM sur la cellule vivante, comme celle réalisé par Gérard Ledoigt à l'université de Clermont-Ferrand. « Nous avons démontré de façon non équivoque qu'une exposition de dix minutes à des ondes de la fréquence d'un portable suffisait à déclencher un stress oxydatif sur les cellules de tomate , affirme cet enseignant-chercheur aujourd'hui à la retraite. On ne peut donc plus dire que ces fréquences sont neutres. »

Même conclusion d'Amandine Pelletier, maître de conférences à l'université d'Amiens, qui a pris cette fois comme cobaye des rats. « Si on leur donne le choix, ces rongeurs s'orientent de manière préférentielle, pour dormir, vers un espace non exposé à des champs électromagnétiques, explique-t-elle. En outre, comparés à un groupe de contrôle, les rats exposés à des CEM affichent un sommeil paradoxal plus fragmenté et une plus grande sensation de froid. Pour autant, on ne peut pas encore affirmer que cet impact a des conséquences néfastes à long terme sur leur organisme », pondère la scientifique.

Quelles preuves?

Le diagnostic du professeur Dominique Belpomme est bien moins nuancé (1). Cet ancien cancérologue qui s'est spécialisé depuis une quinzaine d'années dans les effets des CEM sur la santé, prétend que l'électro-hypersensibilité est causée par une neuro-inflammation cérébrale qui peut être mise en évidence avec des marqueurs biologiques spécifiques, comme le taux d'histamine. Mais la communauté scientifique lui reproche de n'avoir jamais rien publié de probant dans ce domaine. « Il n'a jamais répondu à nos demandes d'audition », pointe Olivier Merckel en charge de ce sujet à l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

Autre point de discorde, le classement en 2011 des CEM par le Centre international de recherche sur le cancer comme possiblement cancérogènes. Les uns y voient une preuve patente des risques liés aux ondes électromagnétiques ; les autres relativisent, en évoquant le café, la viande ou la cuisson au barbecue, qui ont été rangés dans le même groupe.

Pour couper court à toutes les spéculations, l'Anses a réalisé une méta étude faisant la synthèse de tout ce qui a déjà été publié sur l'électro-hypersensibilité. Si elle reconnaît la souffrance des malades et invite à une meilleure prise en charge sanitaire, cette somme révélée l'an dernier, maintient le constat de fond : si l'on s'en tient aux conditions exigées par les protocoles scientifiques, rien ne prouve le lien entre les troubles évoqués par les EHS et les champs électromagnétiques.

Pousser la recherche

Olivier Merckel admet tout de même deux avancées. Primo : plusieurs études rapportent des effets concordants sur la fonction cérébrale. Secundo : bien qu'on ne puisse exclure qu'il soit lié à une persistance des symptômes, on n'a pas réussi à démontrer que l'effet nocébo (déclenchement ou amplification des symptômes par anticipation négative) soit la cause cette intolérance. Les EHS y voient une raison supplémentaire d'aller plus loin dans la recherche. L'Anses dispose d'une enveloppe de 2 millions d'euros par an à investir dans ce type d'études. « Mais on a du mal à trouver de bons projets à financer », indique Olivier Merckel.

Le sujet n'est guère en odeur de sainteté dans la communauté scientifique. Beaucoup d'EHS en concluent « qu'on ne cherche pas véritablement à savoir ». Bref, l'incertitude risque de durer encore un moment. Vu qu'il y a peu de chances que le régulateur applique le principe de précaution et donne ainsi un coup de frein au déploiement de la 5G, c'est donc à chacun de se déterminer, en considérant s'il y a lieu, ou pas, de s'imposer une forme d'hygiène électromagnétique au quotidien.

Reprendre le contrôle

Naturopathe, auteur du livre Les ondes, la 5G et notre santé (à paraître aux éditions Exuvie), Florence Rolando n'a pas attendu d'être EHS pour prendre des précautions. Chez elle le téléphone fixe et l'ordinateur sont redevenus filaires. Elle n'a pas banni le portable ; mais elle veille à l'utiliser le moins possible en surveillant sa « consommation » grâce à une appli ad hoc. Cette quinqua a été jusqu'à installer des bio rupteurs à l'étage de sa maison où se trouvent les chambres, pour couper le courant électrique pendant la nuit.

« La réduction de cet 'électro-smog' a eu des conséquences bénéfiques sur la santé de toute la famille et en particulier sur notre sommeil, assure-t-elle. Mais au-delà, cette démarche a été pour moi l'occasion de reprendre un peu le contrôle sur l'usage de la technologie qui a envahi nos vies. » Un exemple inspirant qui pourrait… rayonner !

(1) Le professeur Dominique Belpomme, qui avait décliné notre demande d'entretien, nous demande de préciser que « la communauté scientifique internationale reconnait ses travaux puisque ceux-ci, publiés en collaboration d'autres professeurs d'université dont certains sont officiellement en charge d'un centre collaborateur avec l'OMS, sont acceptés par des journaux scientifiques à comité de lecture ».

Une onde électromagnétique, qu'est-ce que c'est

Les ondes électromagnétiques permettent de transporter de l'information et de l'énergie, et se propagent à une vitesse proche de celle de la lumière. On les caractérise par leur fréquence. Les plus dangereuses sont dites ionisantes - rayons X ou gamma - car elles ont la capacité de transformer la structure cellulaire. Mais la plupart de celles qui nous entourent n'auraient d'autres dangers que d'échauffer, à fortes doses, les tissus humains. C'est dans ce spectre que se trouvent les micro-ondes (fours, téléphones fixes sans fil, radars, wifi…), les radiofréquences (téléphones portables, télévisions, émetteurs radio…) et les basses fréquences (câbles de transport d'électricité).

Un début de jurisprudence

Les EHS commencent à marquer des points sur le front juridique. Deux tribunaux à Versailles et Cergy-Pontoise viennent ainsi de reconnaître l'exposition aux ondes électromagnétiques comme une cause respectivement « d'accident de travail » et de « maladie professionnelle ». Sur le dossier Linky, les nouveaux compteurs électriques connectés, les EHS ont aussi remporté quelques succès. À Tours, Toulouse et Bordeaux certains plaignants ont obtenu d'Enedis la pose de filtres. En particulier ceux qui ont réussi à présenter des certificats médicaux. Toutefois, dans la grande majorité des cas, la justice les a déboutés.

Slip anti-ondes

Coques absorbantes, peintures anti-wifi, lits à baldaquin façon cage de Faraday et même slips tissés de fil d'argent censés empêcher que le rayonnement électromagnétique n'endommage les spermatozoïdes lorsque le portable est rangé dans la poche du pantalon… Un véritable marché de la protection aux ondes est en train de naître. À noter que, en cherchant à bloquer le signal on pousse l'émetteur à fonctionner au maximum de sa puissance ! Le meilleur moyen de se protéger reste donc de s'éloigner de la source en téléphonant, par exemple, en mode haut-parleur. Et surtout ne pas dormir avec le portable posé sur sa table de chevet, wifi ouvert.

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